Zylan ne chantera plus à Lyon : monodrame en cage

- Publié le 15 novembre 2021 à 11:56
La compositrice Diana Soh a dû jouer avec les contraintes pour concevoir la partition d'un spectacle mis en scène par Richard Brunel. 
Jean-Louis Fernandez

À la clé de cette coproduction (Cité de la voix, Opéra de Lyon entre autres, production déléguée à la Compagnie Anonyme) coréalisée par le Théâtre du Point du Jour, où a lieu le spectacle, plusieurs bonnes idées. Celle d’abord consistant à imaginant un genre hybride entre monodrame et comédie musicale. L’argument se concentre sur Zylan, chanteur que sa notoriété n’empêche pas, dans un pays totalitaire fictif, d’être arrêté pour homosexualité et torturé. Il induit des références directes à la musique pop ainsi que la présence sur scène d’une guitare électrique et d’un set de percussions. Un violoncelle fait le lien avec la musique savante et l’art lyrique.

Consubstantielles aux bonnes idées, les contraintes. Celles qui tiennent à des moyens limités ont été intégrées à la mise en scène de Richard Brunel et à la scénographie de Stephan Zimmerli. Un décor unique, une cellule en forme de cage, accueille le chanteur multirôle, une comédienne et les trois instrumentistes, prenant part eux aussi à l’action lorsqu’ils ne sont pas à l’étage supérieur, derrière la cage. Les translations de rôles se font dans la fluidité du fondu-enchaîné. Est-ce la perspective d’une tournée dans le cadre de « L’Opéra itinérant », auprès notamment de lycéens, qui a induit ses propres contraintes concernant l’accessibilité de l’œuvre ? Toujours est-il que le livret signé par Yann Verburgh paraît bien caricatural, prosaïque et, la suggestion grandiloquente de violences, de scènes érotiques ou de sentiments passionnels ne suffisant pas à créer une profondeur dramaturgique, assez creux. À la fois bavard et redondant, obligeant la compositrice et user abondamment du parlé pour avancer et à jongler avec de nombreuses répétitions.

Idée féconde

Diana Soh a-t-elle dû développer une écriture vocale ad hoc, praticable par un chanteur non spécialiste de la pyrotechnie atonale ? Là encore, la contrainte suscite une idée féconde, sinon pleinement originale : Zylan se signale par le motif do-la. De cette tierce en dériveront d’autres, par extension, associés à la mère de Zylan, ou encore à l’amour. Un demi-ton pour l’arrestation, une quinte pour Ely, vers qui Zylan dirige son amour. Si le procédé a le mérite d’être lisible, il cantonne souvent le ténor Benoît Rameau, dont la voix assez légère mais chaleureuse fait naturellement coïncider lyrisme opératique et chanson, dans le médium-aigu de sa tessiture, en même temps qu’il sollicite l’interprète dans un champ expressif plutôt restreint.

Après la chanson initiale, qui rappelle la Britpop du groupe Coldplay, se confirme une écriture fondée sur la consonance tonale. Des schémas harmoniques parfois minimaux, parfois plus développés portent tour à tour une chanson aux faux airs de ballade, néo-médiévale autant que romantique mais curieusement traversée par l’usage historiquement très connoté de l’accord dit de « sixte napolitaine », un moment onirique qui rappelle la guitare de Bill Frisell ou le son crunchy des chansons déjantées de Tom Waits. La confection des parties instrumentales intègre manifestement le fruit d’un travail direct avec les interprètes, notamment pour ce qui est de la partie de guitare électrique confiée à Maarten Stragier, où le buzz et la distorsion colorent les textures. La percussionniste Yi-Ping Yang dispose d’un instrumentarium modeste mais trouvant une extension, et c’est là une très belle trouvaille qui aurait sans doute mérité une intégration plus profonde à l’écriture, dans le traitement de la cage comme instrument. Les barreaux, des élastiques épais, sont le réceptacle de frappes de baguettes, d’archet et d’objets métalliques, ce qui apporte non seulement une substance rythmique on ne peut mieux liée à l’action scénique, mais amplifie aussi la dimension chorégraphique du jeu de l’interprète. Lyrique lorsqu’il exprime les sentiments de Zylan, le violoncelle de Loris Sikora évolue aussi dans des volutes d’harmoniques et contribue à l’occasion au textures plus bruitistes.

Entre un guitariste qui aurait pu être poussé sur un terrain plus virtuose, un traitement électronique trop systématique de la voix parlée dans les scènes d’interrogatoire, et surtout une musique qui, réduite à une fonction d’accompagnement, se voit privée de la sophistication qui est habituellement le propre de Diana Soh – on le voyait très récemment à Aix-en-Provence -, on reste sur l’impression qu’à l’instar d’un Zylan captif de sa cage, la compositrice a dû transiger avec l’espace restreint d’un cahier des charges inhibant.

Zylan ne chantera plus de Diana Soh. Lyon, Théâtre du Point du Jour, le 12 novembre 2021.

Diapason