C’est sur fond de scandale et d’annonces fâcheuses que l’Opéra Royal de Wallonie-Liège donne la première très attendue de Lucia di Lammermoor. Après un communiqué de presse pour le moins maladroit annonçant l’éviction surprise de deux solistes habitués de la maison à une semaine de la première, on a appris ensuite successivement que Speranza Scappucci, actuelle directrice musicale de la maison, ne renouvellerait pas son contrat pour la saison prochaine et que la nomination en octobre dernier de Stefano Pace au poste de directeur général de l’opéra ferait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État. En dépit de ces événements difficiles, la représentation s'est déroulée dans de bonnes conditions, portée à bout de bras par un vaillant trio de chanteurs.

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Zuzana Marková (Lucia)
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie-Liège

Fidèle à ses habitudes, l’ORW nous propose la mise en scène traditionnelle et grandiloquente de feu Stefano Mazzonis di Pralafera (décédé en février dernier), mise en scène reprise ici par Gianni Santucci. Si les décors imposants et solennels de Jean-Guy Lecat et les éclairages assez simplistes de Franco Marri jouent la carte historique avec un charme assez froid, on préfère l’Écosse renaissante légèrement fantasmée des costumes de Fernand Ruiz, où les surprenantes robes de bal côtoient les kilts et les capes épaisses : en jouant sur l'aspect presque fantastique de la reconstitution historique, on peut ainsi rester au plus près du livret. Malheureusement, la direction d’acteurs déçoit : on peine à se satisfaire des tapes sur l’épaule, des jeux de capes et autres évanouissements dramatiques lorsqu’ils sont les seuls ressorts déployés par la distribution.

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Lucia di Lammermoor à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie-Liège

La production pâtit également de quelques idées qui mettent à mal les ressorts dramatiques de l’œuvre. Mazzonis di Pralafera transforme par exemple le suicide d’Edgardo en accident à la suite de l’éboulement de la tour, négligeant totalement la portée de cet acte d’amour suprême. On regrette également d’être témoin du meurtre d’Arturo, ce qui rend finalement caduque la stupeur de l’annonce de Raimondo ensuite. Le meurtre est d’ailleurs ici interprété davantage comme un accident que comme un acte libérateur, réduisant d’autant plus Lucia à sa fragilité malgré la volonté initiale du metteur en scène. Pourtant, Zuzana Marková nous laisse furtivement entrevoir une Lucia fière et puissante durant la scène de la folie, lorsqu’elle se dresse face à Enrico, le toisant avec force et mépris. Cela aurait pu conférer à son personnage une profondeur incroyable et lui construire une progression réellement émancipatrice si, dans la seconde qui suivait ce regard brûlant, elle ne s’était pas effondrée dans les bras de son frère avec un sanglot…

Du côté de la réalisation musicale, les chœurs et l’orchestre de la maison nous laissent également sur notre faim. Les choristes masqués paraissent bien timides dans leurs interventions, dans la scène d’introduction comme au bal, malgré un son d’ensemble très chaleureux. Pour sa première prestation à la tête de l’Orchestre de l’ORW, Renato Balsadonna ne réussit pas à faire ressortir toutes les couleurs et les dynamiques de la partition. Les cabalettes ne parviennent pas à trouver la verve et l’ampleur nécessaires pour se développer et le son légèrement maigrelet de l’orchestre prive certaines scènes de leur lyrisme.

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Zuzana Marková (Lucia)
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie-Liège

Fort heureusement, le casting vocal demeure le véritable point fort de cette production. Oreste Cosimo et Filippo Adami, respectivement Arturo et Normanno, assurent au pied levé ces deux rôles avec autant de verve et de lumière dans la voix, malgré des timbres légèrement nasillards. Julie Bailly, discrète mais pétrie de tendresse est une Alisa tout à fait honorable. On est moins touché par le Raimondo de Luca Dall’Amico qui oscille entre l’homme d’église inflexible et le protecteur compatissant de Lucia sans jamais vraiment convaincre dans l’un ou l’autre. Vocalement, on apprécie cependant la brillance de ses graves et la noblesse de son legato au prix d’une tessiture très engoncée dans le medium-aigu. On pourrait faire le constat inverse pour l’Enrico abject de Lionel Lhote. Malgré des graves relativement absents et une ligne de chant parfois instable, l’extraordinaire palette de couleurs de cette voix héroïque sied à merveille au prince tyrannique, avec en prime quelques aigus stratosphériques.

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Lionel Lhote (Enrico) et Julien Behr (Edgardo)
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie-Liège

Annoncée souffrante, Zuzana Marková ne laisse paraître de faiblesse que dans son jeu scénique car la voix, elle, est en parfaite adéquation avec le rôle-titre. Avec son timbre clair et ses aigus éclatants, elle assume vaillamment les scènes les plus redoutables ; on admire également une longueur de souffle éblouissante qui lui permet de nous offrir une folie sur un fil. Aucune réserve en revanche pour Julien Behr : le ténor français campe un Edgardo au tempérament incandescent. La formidable rondeur de son timbre épouse toutes les courbes de la partition avec aisance et les belles nuances qu’il propose participent à construire un personnage complexe et touchant.

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