Après une mémorable ouverture de saison avec La Reine des neiges d’Abrahamsen puis la redécouverte du Stiffelio de Verdi, l’Opéra national du Rhin opte pour un classique parmi les classiques, valeur sûre en cette fin d’année incertaine : Carmen de Bizet. Quelle surprise, et quelle joie, de voir attendre sur la place Broglie des collégiens en rang d’oignons, venus braver le froid et la pluie pour assister à cette représentation !

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Carmen à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

Mettre en scène Carmen, du fait de la grande popularité de l'œuvre de Bizet, peut vite s’avérer un casse-tête : comment contenter tout le monde, mélomanes avertis et néophytes, dans un répertoire que chacun se plaît à (re)découvrir ? Jean-François Sivadier semble privilégier une approche consensuelle, qui reprend nombre des codes historiques de l’opéra de Bizet côté décors et costumes : un grand panneau de bois avec trois portes sépare l’usine de la place, les soldats sont en marcel gris, les cigarettières en robes colorées et Escamillo en tenue de toréador traditionnel…

Le metteur en scène ajoute à cette lecture quelques symboles distillés avec parcimonie. Les enfants sont ici utilisés comme une allégorie de l’amour, une pomme apparaît pour incarner la tentation dans la Habanera, la couleur rouge est choisie comme marqueur du combat et du sang... Ces symboles restent malgré tout assez attendus et banals dans leur emploi. On trouvera davantage d’intérêt dans la direction d’acteur, en particulier du côté des personnages secondaires : Lillas Pastia (Yanis Skouta) est aussi drôle que maléfique, quand Le Dancaïre (Christophe Gay) et Le Remendado (Raphaël Brémard) sont deux sortes de pauvres mafieux quelque peu dépassés par les évènements, avec quelques savoureux dialogues parlés avec une langue d’aujourd’hui… quitte à perdre en cohérence historique et esthétique, surtout que ces derniers portent des costumes plus contemporains.

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Carmen à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

La soirée aurait été frustrante si la distribution n’avait pas été à la hauteur. Ce n’est pas le cas pour cette production qui voit briller Stéphanie d’Oustrac dans le rôle-titre. La mezzo-soprano, qui a fait de ce personnage un cheval de bataille, affiche une impressionnante liberté vocale, comme son Habanera mesurée mais si prenante, en même temps qu’une affirmation scénique insolente. Quand elle ne chante pas, elle est facilement identifiable entre toutes les ouvrières avec ses longs cheveux frisés, elle qui parcourt la scène dans tous les sens. Elle donne ainsi à entendre une Carmen déchaînée, avec une étonnante filiation avec Arletty dans sa manière de déclamer les dialogues, sur un ton désinvolte et moqueur, et une projection parfaite, une voix musclée mais sensuelle : en somme, une Carmen idéale !

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Carmen à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

Edgaras Montvidas (Don José) ne démérite pas face à l’hyperactivité scénique et vocale de sa collègue. Touchant dans son incarnation d’un personnage plus naïf et fragile que de coutume, le ténor séduit aussi musicalement, dans une bien plaisante interprétation de « La fleur que tu m’avais jetée », où le chanteur reste digne et émeut sans trop de pathos. Le trio vocal est complété par Régis Mengus qui campe un Escamillo énergique. Le baryton offre une tonitruante entrée à l’acte II, avec son air du toréador affirmé et sûr de lui, que lui permet sa voix ample et généreuse. À souligner aussi la prestation d'Amina Edris dans le rôle très exigeant de Micaëla : en dépit d’une tendresse qui fait parfois défaut, la soprano montre des phrasés naturels et un vibrato homogène.

Enfin, il ne faut surtout pas occulter l’implication essentielle et motrice de Marta Gardolińska : désormais directrice musicale de l’Opéra national de Lorraine à Nancy, la cheffe assure au podium et face aux musiciens de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse une direction franche et directe, très dynamique et qui ne laisse la place à aucun temps mort, remportant sans faute l’adhésion du public – qu’il soit habitué de la maison ou pas.

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