A Genève, « Les Pêcheurs de perles » de Bizet sur l’île de la tentation

- Publié le 20 décembre 2021 à 12:36
Lotte de Beer met en scène un spectacle en forme d'émission de télé-réalité, sous la direction musicale de David Reiland.
Les Pêcheurs de perles

Avec ses invraisemblances et son Orient fantasmé, le livret des Pêcheurs de perles n’est certes pas le plus parfait du répertoire. Lotte de Beer choisit donc de raconter une autre histoire, sans se priver de dénoncer au passage les excès de l’impérialisme occidental – avec heureusement une bonne dose de second degré pour faire passer la pilule. 

La metteure en scène voit comme des nouveaux colons les organisateurs d’une émission de télé-réalité, débarqués sur une île paradisiaque dont ils chassent les autochtones à coup de biftons. Dans ce cadre qui n’évacue donc pas tout à fait les charmes exotiques, les trois protagonistes seront les candidats d’un show cathodique poussé jusqu’au sordide, puisque la sentence de mort fait partie des règles du jeu, avec les encouragements d’une équipe de tournage (preneurs de son, caméraman, régisseurs…) omniprésente et sans scrupule. 

Métaphore prestement filée

Reposant sur une direction d’acteurs aussi enlevée et pertinente que l’usage de la vidéo, la métaphore est prestement filée, distillant aussi quelques belles images, telle cette lune géante qui se lève à l’acte II sur un temple hindou. Mais, comme souvent quand un spectacle repose sur un concept, la dramaturgie finit par s’y enfermer sans qu’on perçoive l’issue ni le sens profond de la démonstration, aussi plaisante soit-elle.

Le rôle assigné au chœur pose en outre de sérieux problèmes sur le plan musical. Figurant la multitude des téléspectateurs, il reste en effet confiné en fond de scène pendant tout l’opéra, derrière un tulle, dans une grande structure semi-circulaire qui représente un immeuble vu en coupe. En raison du déséquilibre acoustique causé par ce parti-pris, les scènes de foule sont privées de l’impact nécessaire, sans qu’il faille incriminer la direction de David Reiland. Celui-ci varie au contraire plutôt bien les climats, avec le nerf et le rebond nécessaires dans les passages dramatiques, davantage de délicatesse quand la poésie prend le dessus. 

Zéro chanteur français

Si le Grand Théâtre a accompli le tour de force de réunir une distribution avec zéro chanteur français, la langue n’est pas trop malmenée. Surtout pas par le Québécois Frédéric Antoun qui met beaucoup de fièvre et de sincérité dans les émois de Nadir. Mais l’artiste serait-il en méforme ? L’émission peine à se libérer, altérant parfois la justesse de l’intonation comme l’éclat de l’aigu.

Le Norvégien Audun Iversen campe un Zurga rien moins que monolithique, avec ce qu’il faut de mordant et de volume dans ses colères, de souplesse dans le phrasé pour chanter ses plus tendres remords. Triomphe surtout la Leïla de la Russe Kristina Mkhitaryan, soprano au médium charnu et souriant, dont les vocalises grimpent avec grâce jusqu’à la stratosphère, n’esquivant pas quelques accents de rage lors de ses affrontements avec le baryton. Et n’oublions pas le Nourabad de Michael Mofidian, belle basse, avec du vif-argent dans la voix et assez d’autodérision dans le jeu d’acteur pour camper, micro en main, le présentateur de ce sympathique Koh-Lanta lyrique. 

Les Pêcheurs de perles de Bizet. Genève, Grand Théâtre, le 17 décembre. Prochaines représentations les 21, 23, 26 décembre.

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