L’Élixir d’amour, remède à la mélancolie au Théâtre des Champs-Élysées
La programmation de L'Élixir d'amour de Donizetti tombe à point nommé, le besoin d’une potion revigorante apparaissant une nécessité en cette période morose et incertaine dominée par le virus du Covid 19 et ses variants. Ce “drame joyeux” mariant des pages mélancoliques et sentimentales (comme la fameuse romance de Nemorino “Una furtiva lagrima”), alliant bouffe et drame, émotion et rire, offre en une partition chamarrée un véritable remède à la mélancolie.
La version concertante proposée n’affadit aucunement le rythme alerte du livret de Felice Romani (librettiste reconnu pour ses qualités littéraires, aussi bien pour l’écriture de mélodrames dont la Norma de Bellini, que de livrets d’opéras bouffes, dont Le Turc en Italie de Rossini) ajouté à l’éloquence de la musique du maître italien et aux talents d’interprétation des artistes.
Riche de son succès dans La Vie Parisienne d’Offenbach en décembre dernier, la soprano Jodie Devos réinvestit la scène du Théâtre des Champs-Élysées, dans le rôle d’Adina. Sa voix pétillante aux aigus assurés affirme la forte personnalité séductrice et espiègle. Son personnage évoluant au fil de l'œuvre, la coquine dévoile finalement ses véritables sentiments, et sa prestation gagne en présence pour culminer dans ses lignes belcantistes lorsqu’elle avoue son amour à Nemorino. Sa sincérité s’exprime dans un phrasé d’une élasticité impressionnante révélant une maîtrise technique irréprochable. Elle joue avec les nuances souplement dans le contrôle des messa di voce (son qui commencé pianissimo s’intensifie jusqu’au forte avant de diminuer à nouveau). Elle achève sa prestation avec des vocalises réjouissantes et un contre ut éclatant.
Les virus épargnant en ce moment peu de productions, une annonce explique que Cyrille Dubois se remet tout juste d’une laryngite mais a cependant tenu à maintenir sa participation au concert. Si l’engagement vocal du ténor compte quelques fragilités (quelques sons raidis et voilés), il offre cependant un Nemorino touchant, attirant la compassion par son phrasé délicat et ses nuances suaves. Sa sensibilité transparaît dans la furtive larme qu’il commence dans l’intimité du son piano. Son accroche vocale est telle qu’elle permet à sa voix légère une présence de chaque instant, et il dirige son accroche nettement vers la nasalité lorsqu’il intensifie son chant pour clamer sa joie d’être aimé d’Adina. Le comique de son personnage transparaît dans son engagement scénique et c’est avec bonheur qu’il joue l’amoureux naïf et le candide de la soirée.
C’est avec les personnages de Belcore, le militaire fanfaron et Dulcamara, le charlatan, que la tonalité comique s’exprime. Le baryton Philippe-Nicolas Martin incarne le sergent de la garnison avec bonheur, en dosant parfaitement l’aspect ridicule du personnage fier et sûr de son charme. Dans son premier air, sa voix semble quelque peu en retrait, manquant du brillant attendu pour ce personnage hâbleur. Au fur et à mesure, la voix se libère toutefois et le vibrato se relâche, lui permettant une présence incontournable dans tous les ensembles.
La partie de basse-bouffe pour le rôle du faux médecin est confiée à Nicola Ulivieri qui s’appuie sur une voix puissante et projetée afin de convaincre les villageois de lui acheter son élixir. Il débite le flot de paroles assurément (c’est le seul italien de la distribution), la grandiloquence prenant cependant le pas sur un chant nuancé. Ses talents d’acteur ancrent son personnage dans le registre comique et il fait rire le public à plusieurs reprises.
Catherine Trottmann prête une voix entre soprano et mezzo-soprano à la jeune paysanne Giannetta. Son timbre rond et charnu donne toute sa présence à ce petit rôle, intervenant surtout dans le 2ème acte.
L’élixir est aussi savamment concocté par le chef d’orchestre. Francesco Lanzillota dose l’énergie de la partie orchestrale (souvent un accompagnement de la voix) entre dramma et giocoso. Si l’influx rythmique peut parfois manquer de vivacité, l’Orchestre National d’Île-de-France sonne toujours rond sans jamais être clinquant. Le Chœur de chambre de Rouen, composé de chanteurs amateurs et préparé par Frédéric Pineau assume les nombreux numéros de l'œuvre dans un bel équilibre sonore. Il n’évite cependant pas quelques soucis de synchronisation avec l’orchestre et agrémente les paroles d’une pointe d’accent français (l’élixir prodigué par Dulcamara étant en fait du « Bordò » !)
L'Élixir d’amour agit et le public, souriant derrière le masque, applaudit bien fort les artistes.
Donizetti, L'Elixir d'amour [Francesco Lanzillota, ONDIF Jodie Devos, Cyrille Dubois, Philippe-Nicolas Martin, Nicola Ulivieri, Catherine Trottmann]@TCEOPERA https://t.co/ifXo98b20l pic.twitter.com/TFxBepnyWc
— Grégoire (@Gregounet_) 15 janvier 2022