Pour trois représentations, le Staatsoper Unter den Linden hisse le drapeau du baroque en affichant la désormais célèbre mise en scène de Didon et Énée par la chorégraphe allemande Sasha Waltz. Créée en 2005 au Grand Théâtre de Luxembourg, la production a aujourd’hui fait le tour des plus grandes salles. Si la lecture de la partition de Purcell peut laisser perplexe – avec notamment des extraits d'autres œuvres du compositeur dans l'ouverture et beaucoup de passages tout simplement silencieux –, on ne peut remettre en cause la création d’un spectacle total où musique, danse, théâtre et chant se mêlent sous nos yeux.

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Didon et Énée au Staatsoper Unter den Linden
© Sebastian Bolesch

Alors que l’annonce consacrée au mode silencieux de nos téléphones et au port du masque retentit encore dans l’enceinte du théâtre, quatre danseurs sont déjà présents et observent le public s’installer face à eux. Perchés sur le bord d’un immense bassin d’eau claire occupant la largeur de la scène, ils dominent la fosse où seize choristes se faufilent, pieds nus. Sans transition et surtout sans musique, on plonge dans l’œuvre en même temps que les danseurs s’élancent, certains tête la première, dans cet imposant aquarium. Les premiers mouvements de danse ont ensuite lieu sous l’eau. Christopher Moulds et les musiciens de l’Akademie für alte Musik Berlin font entendre les premières notes de musique alors que les danseurs se succèdent à l’intérieur du bassin, leurs corps tourbillonnant sur les notes des violoncelles. Pour clôturer cette ouverture, le contexte de l’intrigue est chuchoté au public par deux danseurs encore occupés à sécher leurs corps tout juste sortis des eaux.

Le décor des trois actes se résume ensuite à un fond de scène blanc avec des impressions d’architecture antique et deux grandes ouvertures permettant les entrées et sorties des personnages. Les trappes de la scène sont aussi utilisées pour représenter l’arrivée des créatures maléfiques au deuxième acte. Côté costumes, se joue la règle des contrastes entre faste et économie. Les danseurs, choristes et solistes apparaissent tantôt dans des tenues simples aux tons naturels, tantôt vêtus de multiples tutus et accessoires plus colorés les uns que les autres.

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Didon et Énée au Staatsoper Unter den Linden
© Bernd Uhlig

La mise en scène n’a de cesse de brouiller les pistes de la narration littérale. Chaque soliste est doublé par un ou deux danseurs, une sorte d’écho matérialisant les émotions des personnages par le mouvement. Les ensembles sont constamment mêlés, choristes et danseurs créant ainsi de grands groupes évoluant sur scène comme des bancs de poissons dans la mer. Notons au passage l’admirable performance et le dévouement des choristes du Vocalconsort Berlin, aperçus en sous-vêtements, côte à côte avec les danseurs de Sacha Waltz and Guests.

De beaux tableaux découlent de ces scènes d’ensemble : les personnages immobiles en habits de fête, réunis au centre de la scène, sans musique, comme pour une photo de mariage qui reprend vie au ralenti alors que les musiciens de l’Akademie für alte Musik attaquent le finale du premier acte. Autre moment marquant, la séparation des amants où les artistes forment deux colonnes mouvantes comme des monstres à cent bras essayant désespérément de se toucher sans jamais s’atteindre.

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Didon et Énée au Staatsoper Unter den Linden
© Bernd Uhlig

La frontière avec la fosse d’orchestre est elle aussi flottante. Aphrodite Patoulidou et Luciana Mancini s’assoient sur le rebord de la scène, les pieds ballants dans la fosse pour chanter le premier duo de l’opéra. Une violoniste quitte son fauteuil d’orchestre et monte sur scène tout en jouant un solo pour ouvrir le troisième acte. Enfin, Marie-Claude Chappuis et la danseuse Clémentine Deluy, toutes deux inertes après la mort de Didon, sont portées jusque dans la fosse lors du tableau final.

Les performances féminines sont plus remarquées que celles de leurs homologues masculins. Si l’on est un peu déçu par la Sorceress de Yannis François qui manque de puissance et de projection, on est enchanté par la justesse de l’interprétation d'Aphrodite Patoulidou en Belinda notamment dans l’air « Persue the conquest of love ». L’émotion communiquée par Marie-Claude Chappuis tout au long de la soirée est palpable, même si la beauté du finale est quelque peu assombrie par l’inconfort de la soprano se débattant avec une chevelure de plusieurs mètres imposée par la mise en scène.

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Didon et Énée au Staatsoper Unter den Linden
© Bernd Uhlig

On sort donc du théâtre à moitié conquis. Conscient du travail engagé et captivé par la beauté de la chorégraphie lors des scènes d'ensemble, on reste malgré tout sur notre faim musicalement. Comme si le continuo musical de Purcell avait été trop distendu pour pouvoir soutenir les cinquante minutes supplémentaires demandées par la mise en scène.

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