A l’Opéra de Paris, des Noces de Figaro très féministes

- Publié le 23 janvier 2022 à 18:08
Sous la direction de Gustavo Dudamel, le plateau vocal de cette nouvelle production déçoit, alors que le spectacle de Netia Jones, en dépit de bonnes idées, laisse un goût d'inachevé.
LES NOCES DE FIGARO

Malgré la circonstance atténuante de quelques changements dus au covid-19, le niveau vocal tout juste passable affiché par la distribution de ces nouvelles Noces de Figaro parisiennes n’est pas sans susciter un certain embarras. Par où commencer ? Anna El-Khashem est beaucoup trop légère pour Suzanne, pauvre en médium et en volume, ce que ne sauraient compenser sourires et grâces musicales, certes indéniables. La joliesse ne suffit pas et, pour les mêmes raisons, Lea Desandre, mezzo poids plume à la chair vocale étique et à la projection en berne, se hausse du col en Chérubin – peut-être l’incarnation ferait-elle illusion dans une salle plus petite, à Garnier elle passe péniblement la rampe.

Maria Bengtsson paraît si tendue dans son « Porgi, amor », que le souffle s’épuise, la phrase s’atrophie ; « Dove sono » montrera cette Comtesse davantage maîtresse de ses émotions, et de son chant, mais avec toujours sur la voix comme un voile qui estompe les consonnes et le relief de la vocalise. La fièvre monte d’un degré avec Luca Pisaroni, seul Italien de l’étape, impressionnant par le poids donné à chaque mot, sans toutefois occulter quelques faiblesses aux extrêmes de la tessiture, qui altèrent ses premiers airs – l’artiste trouvera un surcroît de superbe pour son ultime « Aprite un po’ quegli occhi ».

Peter Mattei au sommet

Sans grande surprise en vérité, triomphe le Comte déjà légendaire de Peter Mattei, toisant son monde par la haute stature d’un baryton toujours aussi carnassier, offrant en prime le portrait le plus fouillé de la soirée, entre coups de griffes et raptus pathétiques. Outre la charmante Barberine de Kseniia Proshina, Dorothea Röschmann (Marceline), Michael Colvin (Basilio) et James Creswell (Bartolo) forment une solide équipe de comprimari – quoique le dernier, en dépit d’un beau grave, soit un peu à la peine pour les rafales de canto sillabico dans sa « Vendetta ».

Est-ce à cause des multiples défaillances du plateau que Gustavo Dudamel donne souvent l’impression de retenir ses chevaux ? Dans l’Ouverture et les ensembles, le chef sait pourtant trouver le pouls du discours musical, alliant à la mobilité du dessin un juste dosage des équilibres et des nuances. Mais à l’acte IV, il manque l’essentiel : l’insondable poésie de nuit d’été, sans laquelle il n’est de grandes Noces. Le spectacle, il est vrai, n’incite guère à de tels sentiments.

Théâtre dans le théâtre

Netia Jones a choisi de jouer la carte du théâtre dans le théâtre, situant tout l’opéra dans les coulisses de la représentation. Le décor des actes I et II montre donc une enfilade de loges d’artistes, sans doute celles du palais Garnier – on aperçoit par les fenêtres quelques façades haussmanniennes. Suzanne exerce le métier d’habilleuse, Figaro semble un accessoiriste, le Comte et la Comtesse des stars de l’opéra, alors que Bartolo a la dégaine d’un directeur et Marceline celle d’une DRH prête à en découdre. Dans cet univers en grisaille, les costumes mêlent habilement les époques, la nôtre et celle de Mozart. Mais quand pointent les débats de société actuels, la metteure en scène ne fait pas toujours dans la dentelle : la première apparition du chœur se transforme en manifestation syndicale, avec projection de tracts contre le harcèlement sexuel – un thème certes central dans le livret, mais auquel il ne faudrait toutefois pas réduire la pièce de Beaumarchais vue par Da Ponte.

L’acte III montre davantage de ruptures visuelles, nous transportant d’un magasin de costumes, avec d’étourdissantes volées d’escaliers métalliques, au vestiaire des choristes, puis à un studio de danse. C’est là le tableau le plus réussi, où une troupe de petits rats apporte enfin une animation en phase avec la musique et la comédie, soulignée par de beaux jeux d’ombres.

Vaudeville consumé

Au IV, retour sur le plateau où doit avoir lieu la représentation. Plateau quasi vide, tout noir, comme un four qui consume la légèreté et la magie du vaudeville, encore assombries par un dessein féministe décidément appuyé. Quand Barberine entre pour chanter son air (« L’ho perduta ») avec son tutu déchiré, le spectateur n’a aucun doute sur la nature de ce qu’elle vient de perdre. Le message est encore plus clair lorsque, sur les dernières mesures, le fond de scène s’ouvre pour laisser paraître le foyer de la danse, lieu de toutes les turpitudes au XIXe siècle, où ces messieurs de la bourgeoisie venaient s’approvisionner en chair fraîche.

Spectacle imparfait, dont le propos comme l’originalité des situations ne sauraient laisser indifférent, mais qui pâtit d’une certaine uniformité dans le ton et les atmosphères, d’une carence dans la fantaisie des mouvements et la peinture des caractères. Peut-être tout cela mûrira-t-il au gré des reprises, que l’on espère surtout conformes aux exigences vocales auxquelles l’Opéra de Paris se doit de répondre.   

Les Noces de Figaro de Mozart. Paris, palais Garnier, le 21 janvier.
Prochaines représentations jusqu’au 18 février

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