Le dernier Hamlet monté par l'Opéra de Saint-Étienne voyait en 2010 les débuts de Jean-Sébastien Bou dans le rôle-titre. C'est à présent au tour d'un autre baryton français de premier plan d'endosser les habits du prince du Danemark : Jérôme Boutillier, dont la prestation est absolument bluffante. Le grain vocal est noble, capable de mordant et d'extension robuste vers l'aigu, porté par une grande réserve de souffle qui participe à l'élégance du legato. On se régale de ses airs, depuis le dynamique « Ô vin, dissipe la tristesse » en passant par son long monologue de l'acte III « Être ou ne pas être » et jusqu'à sa note finale « et je suis roi », transposée avec panache à l'aigu. Le jeu aussi est particulièrement investi, celui d'un Hamlet en costume et cravate mais visiblement névrosé, qui ne cesse de remettre en place sa mèche rebelle, se recroqueville dans un fauteuil, se jette au sol à genoux ou bien s'allonge de tout son long.

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Hamlet à l'Opéra de Saint-Étienne
© Hubert Genouilhac

Son Ophélie est Jeanne Crousaud, dont la puissance de l'instrument n'est pas considérable, mais qui conduit avec goût et musicalité l'ensemble de ses interventions. Cela vaut d'abord pour son grand air de folie de l'acte IV (« À vos jeux, mes amis ») où l'on apprécie la justesse et la rapidité d'exécution des vocalises. C'est d'ailleurs une démence plutôt sobre et triste, qui ne verse pas dans la démesure, un chemin menant ensuite à la mort, ponctué par de beaux sons filés. Emanuela Pascu en Gertrude dispose quant à elle d'un volume naturel très imposant, émis au moyen d’une diction de qualité malgré le soupçon d'accent. Sa confrontation avec Hamlet à l'acte III constitue logiquement l'un des sommets de la représentation. Sans démériter, Jiwon Song (Claudius) est moins marquant, distillant un chant propre dans une élocution appliquée. En Laërte, le ténor Jérémy Duffau offre son joli timbre et sa diction soignée, accompagnés d'une ampleur qu'on ne lui connaissait pas précédemment. Les aigus sonnent avec une grande force et la voix montre une belle homogénéité sur toute la tessiture. Chanté depuis les étages supérieurs de la salle, le Spectre de Thomas Dear résonne de manière encore plus autoritaire et sépulcrale dans cette configuration.

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Hamlet à l'Opéra de Saint-Étienne
© Hubert Genouilhac

Les autres rôles plus secondaires sont aussi tenus avec excellence, en premier lieu le beau baryton Jean-Gabriel Saint-Martin (Horatio), aux côtés de Yoann Le Lan (Marcellus), Thibault de Damas (Polonius), ainsi qu'Antoine Foulon et Christophe Berry en premier et deuxième fossoyeurs. L'ensemble est placé sous la baguette de Jacques Lacombe, l'un des grands défenseurs de ce répertoire français. L'Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire présente de somptueuses couleurs, que ce soient les unissons des cordes, les bois virtuoses ou les cuivres brillants en coulisse. Malgré le port du masque qui atténue la projection vocale, les chœurs maintiennent également une belle allure, un soin étant apporté à la précision rythmique.

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Hamlet à l'Opéra de Saint-Étienne
© Hubert Genouilhac

Le spectacle réglé par Nicola Berloffa installe l'action à l'intérieur d'une grande salle aux murs décorés somptueusement, qui sont parfois occultés par des rideaux de voile noir, se déployant pour caractériser des scènes plus intimistes voire funèbres. De facture plutôt classique, la réalisation visuelle permet de maintenir – chose essentielle – un jeu d'acteurs d'une grande densité. On découvre d’abord le palais royal avec la présence du trône, puis une table et deux lustres pour figurer le festin, et un peu de neige et de fumée accompagnera l'apparition du Spectre en fin de premier acte. Les deux fenêtres latérales permettent, grâce aux lumières de Valerio Tiberi, de varier les atmosphères (tantôt nocturne, tantôt crépusculaire), tandis qu'Ophélie dans sa grande scène de l'acte IV cheminera autour et à travers un parterre de fleurs. Les costumes colorés, très raffinés, rappellent l’aristocratie de la cour du Danemark et magnifient la beauté des ensembles.

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