Soir de grandes premières à Bordeaux : en ce lundi 31 janvier, la nouvelle production de Werther fait ses débuts sur la scène de l’Auditorium, et Benjamin Bernheim y fait une prise de rôle attendue dans la peau du héros romantique éponyme. En coulisses, une autre prise de rôle a lieu et non des moindres : ayant accepté d’enfiler le costume de directeur de l’Opéra de Bordeaux neuf mois plus tôt que prévu, Emmanuel Hondré, ex-directeur du département concerts et spectacles de la Philharmonie de Paris, connaît sa première représentation dans ses nouvelles fonctions et accueille les spectateurs dans le hall.

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Werther à l'Opéra National de Bordeaux
© Éric Bouloumié

À en juger par le public étonnamment clairsemé en cette date-événement (et pour un chef-d’œuvre particulièrement accessible du répertoire), le nouveau directeur aura fort à faire. Quel dommage ! Les absents ont toujours tort mais ce soir plus que d’habitude : en Werther, Benjamin Bernheim se révèle époustouflant. On s’y attendait un peu : après des débuts exceptionnels dans Manon il y a trois ans (déjà à Bordeaux), Bernheim confirme qu’il est taillé pour le grand opéra français. Faisant preuve d’un souffle impressionnant dans les envolées poétiques où il dose habilement voix de tête et voix de poitrine (« Pourquoi me réveiller »), rythmant et articulant parfaitement les charges héroïques (« Un autre est son époux »), osant un dépouillement bouleversant à l’évocation ou à l’approche de la mort (« Écoute bien ! Là-bas, au fond du cimetière »), le ténor français délivre une interprétation totale, renforcée par un jeu d’acteur particulièrement convaincant.

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Werther à l'Opéra National de Bordeaux
© Éric Bouloumié

Le reste de la distribution le seconde parfaitement, à commencer par la Charlotte de Michèle Losier. La mezzo québécoise fait parfaitement moduler sa voix pour suivre l’évolution psychologique du personnage, son timbre clair s’assombrissant et gagnant en volume à partir du troisième acte pour réserver des moments d’anthologie (splendide et terrible « Air des lettres »), tout en conservant une intonation irréprochable en toutes circonstances. Avec son phrasé élégant, Lionel Lhote incarne un Albert tout en noblesse et Florie Valiquette complète le quatuor en donnant au personnage de Sophie sa voix fraîche et légère, joliment agile quand il s’agit de figurer l’oiseau (« Ah ! Le rire est béni »). Saluons enfin le beau Bailli, gentiment autoritaire, de Marc Scoffoni.

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Werther à l'Opéra National de Bordeaux
© Éric Bouloumié

Dans ces conditions, la mise en scène passe au second plan et ce n'est pas plus mal. Contraint par les moyens techniques limités de l’Auditorium, Romain Gilbert s’est inutilement compliqué la vie en usant et abusant d’un décor tournant qui finit par donner le mal de mer. Le metteur en scène a pourtant de bonnes idées : donner de la consistance au personnage de Sophie est bienvenu, tout comme le fait de surligner l’importance de l’enfance dans le livret en ajoutant des doublures enfantines au duo Charlotte-Werther. Hélas, les allusions sont trop lourdes et répétitives pour réellement émouvoir, quelques passages-clés manquent singulièrement de poésie (le retour de Werther au troisième acte, directement dans le lit conjugal), tandis que les lumières crues, les costumes peu seyants et les éléments grotesques du décor (trophées de chasse ensanglantés d’une laideur inutile) n’arrangent pas l’affaire.

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Werther à l'Opéra National de Bordeaux
© Éric Bouloumié

Il en faudrait plus pour gâter la production car, outre Bernheim, un autre acteur majeur se distingue magnifiquement ce soir : l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine. La partition de Massenet propose pourtant un défi singulier à la fosse, partagée entre accompagnement des voix et densité de l’orchestration : on trouve des textures et des motifs wagnériens dans cet ouvrage qui inspira Schönberg pour sa Nuit transfigurée, des solos exposés (formidables violon et violoncelle ce soir !), une partie de cuivres non négligeable. Sous la baguette généreuse, claire et inspirée de Pierre Dumoussaud, l’orchestre fait mieux que tisser la trame du drame romantique : il l’incarne, avec une pâte sonore pleine et souple dans les cordes, des vents solides et impeccablement justes. Devant une interprétation musicale d’une telle force, on se dit qu’après le succès du Pelléas enregistré pendant le confinement avec le même chef, la maison bordelaise serait bien inspirée de prolonger sa discographie…


Le voyage de Tristan a été pris en charge par l'Opéra National de Bordeaux.

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