« I was looking at the ceiling and then I saw the sky » s’abrège à l’Athénée

- Publié le 7 février 2022 à 12:10
La compagnie Khroma et le chef Philippe Gérard offrent une jeunesse réaliste bien qu’un peu inégale au « Songplay » – hélas ! raccourci – de John Adams
« I was looking at the ceiling and then I saw the sky » s’abrège à l’Athénée

Le 17 janvier 1994, à 4h31, à Northridge, près de Los Angeles, un violent tremblement de terre tuait plus de 70 personnes, en blessait près de 9000 et en précipitait 20000 dans la rue. Sans compter les dégâts matériels. De ce séisme, June Jordan fit un livret pour John Adams, entrecroisant les témoignages de sept jeunes « Angelenos » d’origines ethniques et sociales diverses. Les principaux thèmes de prédilection de la poétesse afro-américaine et du compositeur s’y retrouvent, sur fond d’histoire(s) d’amour : conflits inter-raciaux, relations avec les autorités, persécution de migrants, questions d’identité sexuelle.

Un projet « multistyle » où rivalisent amour et humour…

L’ensemble est un « album musical » façon rock, qui déroule en saynètes successives – ici enchaînées au « noir » – des histoires qui se tissent et se détissent de part et d’autre du cataclysme : arrestation, consultation de planning familial, scènes de tribunal, de prison… La musique y allie les styles et les esthétiques : un peu (très peu) de modernisme, un peu (plus) de minimalisme, beaucoup de populaire, de blues et de rock. Instrumentarium mixte aussi : clarinette, saxophone, guitare et basse électrique, trois claviers, percussions/batterie. Accueillie tièdement à sa création en 1995, l’œuvre est rarement jouée en France – trois programmations dont la création française –, à l’instar de nombre de compositions « postmodernes » qui peinent à trouver le chemin des maisons d’opéra.

Les décors sont simples : des maquettes, disposées sur un côté de la scène, un envers de décor visible projeté en images animées. S’y ajoutent de simples chaises, déplacées au gré des séquences. Un peu inégaux, les chanteurs savent néanmoins convaincre dans leurs rôles respectifs. Nathalie Oswald prête une voix aux nuances multiples à Leila, l’employée du planning familial. Elle vole la vedette à ses consœurs, Carole Moneuse (Consuelo, réfugiée salvadorienne sans papiers) et Sonia Shéridan Jaquelin (la journaliste Tiffany), qui compensent un relatif manque de puissance par des phrasés délicats. Leur trio sexy évoquant les « Bad Boys » est un bonheur : facétie et jeu d’actrices en prime ! Chez les garçons, la palme va à Lionel Couchard (Dewain, truand repenti amant de Consuelo), baryton à la belle palette expressive et à Lucas Bedecarrax, dont l’amplitude et la ductilité vocales servent à merveille l’ambiguïté de Mike, policier gay qui s’ignore. Le pasteur (Marc Fournier) peine davantage dans les aigus, forçant souvent sur sa voix de tête – artifice peut-être voulu : il pleure son amour perdu. L’ensemble est conduit par un Philippe Gérard très attentif, même s’il laisse parfois les instruments dominer les voix.

… mais inexplicablement tronqué

Deux bémols toutefois, de taille : le raccourcissement inopiné – passé sous silence dans le programme – de l’œuvre, qui nuit grandement à la consistance des personnages comme à la crédibilité de leurs histoires. Si Consuelo et Dewain rompent (somptueux duo « One last look at the Angel in your eyes »), c’est parce la jeune fille retourne au Salvador aider ses compatriotes, ce qui n’est pas dit ici et nous prive d’un poignant air de la jeune femme tout en « dépolitisant » fâcheusement son personnage. Mike n’est plus le pasteur Don Juan qu’il est chez Jordan mais un pasteur tout court (exit un savoureux « sermon sur l’amour »). Pire encore, la jeune femme qu’il pleure n’est autre que Leila, tuée dans la catastrophe… mais on n’a rien vu de leur idylle en dents de scie. Quant à la féminisation de l’avocat originel, nullement prévue par la partition, elle ajoute à la trame narrative une composante lesbienne peu justifiée : Tiffany trouve ainsi en Rickie (très agile Marie Juliette Ghazzarian) l’âme sœur que se refusait à être Mike, qu’elle accuse d’être gay. Malgré cela – mais si le syndrome de la playlist gagne les spectacles, où va-t-on ? –, on apprécie la distribution jeune et réaliste de l’œuvre comme le beau travail de ces artistes prometteurs, un pas vers une réhabilitation que l’on attend encore, et que l’on espère intégrale cette fois.

I was looking at the ceiling and then I saw the sky de John Adams. Paris, Théâtre de l’Athénée, le 5 février. Prochaines représentations jusqu’au 10 février.

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