Coronis, une zarzuela baroque à Favart

Une mise en scène jubilatoire pour une partition royalement dirigée.

Coronis, une zarzuela baroque à Favart

AVEC CORONIS, LE COMPOSITEUR ESPAGNOL Sebastián Durón (1660-1716) signait, dix ans avant sa mort, l’une de ses plus belles partitions. Inspirée de thèmes antiques (ici tirés d’Ovide) comme il était d’usage, en Espagne comme ailleurs, à l’ère baroque, cette zarzuela conte les amours de la nymphe Coronis, prise bien malgré elle entre le pouvoir de deux dieux : Apollon, dieu du soleil, qui l’épousera et Neptune, dieu de la mer, qui malgré les manigances de son « représentant », le monstre Triton, amoureux éperdu de la nymphe, devra y renoncer. Ingrédients à quoi s’ajoutent plusieurs intrigues et personnages secondaires, dont les rôles de bouffons, qui font bien plus qu’agrémenter et pimenter l’ensemble et éclairent bien le choix de cette œuvre par le chef d’orchestre, Vincent Dumestre et le metteur en scène, Omar Porras. Créée entre 1701 et 1706 sur un livret d’un poète anonyme, on peut supposer, comme l’indique l’excellent texte d’Agnès Terrier, dramaturge de l’Opéra-Comique, que le nom même de la nymphe, évoquant le mot de « couronne » (corona) se prêtait bien à célébrer le prestige du roi Philippe V d’Espagne, devant lequel l’œuvre a été jouée.

Tragique et burlesque
Comme pour toute « redécouverte », surtout baroque, on peut avoir une certaine appréhension ou du moins une attente teintée de scepticisme : va-t-on assister à un énième spectacle s’efforçant de mettre en valeur, coûte que coûte, une partition de qualité contestable en la pimentant de suffisamment de moyens visuels pour la hisser et la hausser au rang des plus grandes ? Disons-le d’emblée : la musique de Coronis mérite largement le détour, en particulier pour l’alliage de tragique et de burlesque qui la caractérise et surtout la grande beauté de ses séquences mélancoliques ou élégiaques. Comme dans tous les opéras de cette époque, quelle que soit leur origine nationale, la virtuosité y occupe bien sûr une place de choix, avec son cortège de conventions et de pyrotechnie peut-être prévisible. Mais la qualité de tous ses interprètes et surtout leur engagement dans cette aventure musicale et scénique fait de cette production un véritable événement.

Conjonction heureuse de pure jubilation et de travail acharné (l’un suscitant l’autre, probablement…), le spectacle est un enchantement pour l’œil et l’oreille. Et ce, dès les premières minutes. Est-ce d’abord la direction tout en finesse et en énergétique rythmicité de Vincent Dumestre, à la tête de son excellent Poème Harmonique ? Est-ce l’alliage d’excentricité et de tendresse d’une mise en scène captivante par la richesse des enjeux théâtraux qu’elle déploie ? Est-ce le plaisir subtil, pour l’auditeur français d’aujourd’hui, d’écouter les sonorités aristocratiques et courtoises de ce type de musique et de les voir traversées par l’écho le plus débridé des rythmes et harmonies espagnols dans ce qu’ils ont d’éternel (castagnettes du 17e siècle ou castagnettes du flamenco, c’est bien là le pont de rythmicité et de folklore qui relie Espagne ancienne et moderne).

Le cirque et le rêve
Omar Porras qui signe la mise en scène a pris le parti de proposer au spectateur des séquences visuelles et des protagonistes venus du monde du cirque : acrobates, contorsionnistes, etc. Et bien sûr, on entend ici ou là dans les commentaires du public ou de ses amis quelques mesquines remarques : "Ah encore du cirque mis à toutes les sauces, à quoi bon ?" Mais ce qui fait toute la différence, ici, est d’ordre purement énergétique : bien au-delà d’un simple emprunt à un art autre que celui de l’opéra qui serait destiné à agrémenter le spectacle, l’acrobatie semble ici résulter véritablement de la fantaisie généralisée des visions d’Omar Porras et de sa capacité à susciter l’onirisme et l’étrangeté. Comme si le spectateur se voyait invité à suivre le metteur en scène dans sa liberté imaginative et sa générosité.

Au-delà de la convention
Car c’est bien de générosité qu’il s’agit dans ce spectacle : on le sent, intuitivement, à l’écoute (et à la vision, si l’on est bien placé !) de la direction alerte et pleine de gaîté de Vincent Dumestre, on le lit d’ailleurs sur son visage. On perçoit également l’enthousiasme des chanteurs et des danseurs à leur façon d’entrer sur scène, de dérouler leurs arias, d’aller au-delà de la convention baroque, avec tout ce qu’elle peut susciter d’ennui lorsque le talent n’y est pas. Récitatif, aria, ballet, chœur… : dans les opéras de cette époque, l’énumération des séquences peut parfois être source, chez l’auditeur, d’une lassitude très particulière, comme si le cadrage du temps était par trop prévisible.

Et c’est justement cet art de proposer un temps poétique et nourri, libéré du carcan de la forme baroque (avec ses da capo, ses jeux de répétitions programmés et ses vocalises prédécoupées) qui force ici l’admiration. Vincent Dumestre joue lui aussi ce jeu-là, en proposant des tempi alertes, des ciselures instrumentales raffinées, qui semblent susciter d’elles-mêmes l’apparition jubilatoire de l’espagnolade. Une belle équipe pour une belle aventure !

Photo : Stefan Brion

Sebastián Durón : Coronis. Marie Perbost (Coronis), Isabelle Druet (Triton), Cyril Auvity (Protée), Anthea Pichanick (Ménandre), Victoire Bunel (Sirène), Marielou Jacquard (Apollon), Caroline Meng (Neptune), Eugénie Lefebvre (Iris), Stephan Olry (Marta). Le Poème Harmonique, dir. Vincent Dumestre. Mise en scène : Omar Porras. Opéra-Comique, 17 février 2022.

A propos de l'auteur
Hélène Pierrakos
Hélène Pierrakos

Journaliste et musicologue, Hélène Pierrakos a collaboré avec Le Monde de la Musique, Opéra International, L’Avant-Scène Opéra, Classica, etc. et produit des émissions sur France Musique, France Culture, la Radio Suisse Romande et, depuis 2007 :...

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