Ramona Zaharia brille dans Carmen à la Deutsche Oper am Rhein

Xl_carmen_au_deutsche_oper_am_rhein © Birgit Hupfeld

Beau succès pour cette première de Carmen à la Deutsche Oper am Rhein (site de Düsseldorf). Une réussite qui repose sur le rôle-titre, la fabuleuse mezzo roumaine Ramona Zaharia, et sur la mise en scène imaginée par le metteur en scène vénézuélien Carlos Wagner. Une proposition scénique qui se révèle sombre et oppressante, loin de tout folklore de pacotille : la scénographie (conçue par Rafail Ajdarpasic) repose sur d’immenses murs noirs et lépreux qui servent de cadre aux quatre actes du chef d’œuvre de George Bizet. Les références à Goya et à ses atmosphères angoissantes et pesantes sont très perceptibles ici, jusque dans une direction d’acteurs d’une rare intensité, et d’une violence parfois exacerbée – comme le meurtre de Zuniga par Don José à la fin du I, qu’il achève d’une balle dans la tête avant de mettre le feu à sa dépouille… une cruauté accentuée par les éclairages de Fabrice Kebour, très crus mais d’une grande beauté. Au fur et à mesure que Don José s’enfonce dans son obsession amoureuse, et donc dans son désespoir, sa vision du monde s’éloigne peu à peu du réel, le cauchemar atteignant son paroxysme au quatrième acte quand le quadrille des toreros est ici remplacé par des bouchers transportant des cadavres de taureaux ! L’affrontement entre le brigadier et la bohémienne se mue alors en une corrida à mort : Carmen porte le fameux habit de lumière et se sert de sa cape pour braver Don José, tandis que ce dernier enfile une tête de taureau pour l’encorner sauvagement… effet glaçant garanti !

Cette vision du mythe de la Carmencita a visiblement trouvé en Ramona Zaharia (qui devait interpréter le rôle au Metropolitan Opera de New-York... si le Covid ne s’en était mêlé !), une interprète quasi idéale. De fait, la cantatrice s’avère d’une beauté vocale surprenante, avec une excellente prononciation de notre langue, des graves capiteux et un registre aigu percutant. Véritable bête de scène, dotée d’un physique fort avantageux, elle fait valoir une magnifique égalité de timbre sur toute l’étendue du registre, son aisance scénique et sa réflexion approfondie du personnage complétant un portait de Carmen parmi les plus convaincants qu’il nous ait été donné de voir. Las, son Don José ne soulève pas le même enthousiasme, le ténor espagnol Eduardo Aladren se montrant, pour commencer, un bien piètre acteur. Doté d’un timbre flatteur, dont certaines sonorités font penser au jeune Domingo, il s’exprime par contre dans un français nébuleux, et de trop nombreuses intonations fluctuantes viennent par ailleurs gâcher sa prestation. La diction du baryton roumain Bogdan Baciu (mari de la mezzo à la ville) ne se montre guère plus brillante, mais le métal de voix, sa prestance scénique, et la puissance de son organe n’ont pas de mal à galvaniser la salle, qui l’applaudit à tout rompre après le fameux air « Toréador, toréador ». Le français de la soprano arménienne Liana Aleksanyan (Micaëla) n’est pas toujours très idiomatique non plus, mais sa voix bien construite, saine et honnête, emporte l’adhésion, d’autant qu’elle délivre un très émouvant « Je dis que rien ne m’épouvante ». Moins exposés, on goûte cependant à la qualité des nombreux rôles secondaires.

Enfin, la direction du chef britannique Alexander Joel contribue, elle aussi, au succès de cette Carmen. Pas de couleur locale surajoutée, mais une progression dramatique rigoureuse, qui sait préserver à chaque acte sa tonalité propre. Et nous ne manquerons pas, pour finir, de féliciter un Orchestre Symphonique de Düsseldorf, aux sonorités proprement jouissives.

Emmanuel Andrieu

Carmen de Georges Bizet à la Deutsche Oper am Rhein (Düsseldorf), le 10 mars (et jusqu'au 15 mai 2022).
 

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