Pour cette série de représentations de Rigoletto, l’Opéra Royal de Wallonie reprend la mise en scène signée pour le Teatro Massimo de Palerme en 2018 déjà par l’acteur John Turturro qui y faisait ses débuts à l’opéra. Peut-être freiné par son manque d’habitude du lyrique, le comédien américain s’en tient à une approche plutôt sage et largement illustrative, même s’il apporte quelques touches inattendues. L’action est ici située dans un XVIIIe siècle assez décadent où les courtisans se distinguent par leur riche vêture et leurs belles perruques alors qu’ils évoluent dans les salons d’un palais ducal sombre et assez inquiétant, dans une atmosphère où même la sexualité carnassière du duc de Mantoue paraît triste et forcée.

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Rigoletto à l'Opéra Royal de Wallonie
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie Liège

Parmi quelques idées qui laissent perplexe, le metteur en scène juge utile de faire intervenir à plusieurs reprises des danseurs qui encombrent plus le plateau (surtout les dames avec leurs énormes robes à panier) qu’ils n’ajoutent quoi que ce soit à l’action. À la fin de l’acte I – où Turturro fait curieusement de Giovanna, la confidente de Gilda, une religieuse à cornette –, les courtisans procèdent bizarrement au rapt de Gilda en déplaçant sa maison montée sur roulettes. 

Si les chanteurs donnent souvent l’impression d’être un peu livrés à eux-mêmes, il faut reconnaître que prenant pour boussole le livret de Piave et la musique de Verdi, les protagonistes s’en sortent généralement bien, voire très bien.

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Amartuvshin Enkhbat (Rigoletto) et Enkeleda Kamani (Gilda)
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie Liège

Le premier triomphateur de cette soirée liégeoise est le chanteur mongol Amartuvshin Enkhbat, baryton au timbre de bronze et à l’aigu aisé. Irréprochable sur le plan du phrasé et de la diction, il est également un acteur très crédible, qui sait se montrer aussi mordant et caustique lorsqu’il raille les travers des courtisans que vulnérable et infiniment touchant dans ses rapports avec sa fille, quand il n’est plus bouffon mais père aimant. Gilda est incarnée ici par Enkeleda Kamani, chanteuse indubitablement sincère mais dont la prestation vocale est assez déroutante. Les premières interventions de la soprano albanaise font entendre une voix au timbre peu corsé, voire par moments assez vinaigré, qui va ensuite nettement s’améliorer avec quelques très belles vocalises dans le médium et de beaux aigus, et ce malgré un vibrato très présent. En dépit de quelques aigus décolorés, Kamani fait bien sentir la fragilité de Gilda dans un « Caro nome » rendu avec une réelle délicatesse et dont elle évite de faire une inutile démonstration vocale.

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Rigoletto à l'Opéra Royal de Wallonie
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie Liège

Le jeune ténor péruvien Iván Ayón Rivas incarne un duc de Mantoue d’une belle santé vocale, au timbre chaud et à l’aigu aisé. Malheureusement, son interprétation assez fruste n’a rien d’aristocratique et son phrasé manque cruellement de raffinement. Rubén Amoretti est un assez sinistre Sparafucile et Sarah Laulan prête son beau mezzo à une incarnation très sensuelle de Maddalena. Parmi les rôles secondaires, Patrick Bolleire investit le personnage de Monterone d’une réelle autorité.

L’autre triomphateur de cette soirée est sans nul doute Daniel Oren. Le maestro israélien représente l’archétype du vrai chef d’opéra qui, sans jamais tirer la couverture à lui, soutient sans faillir les chanteurs avec subtilité et intelligence tout en maintenant la continuité du discours verdien. Il peut pour ce faire compter sur un orchestre dont on sent qu’il a plaisir à jouer sous la baguette d’un chef dont le métier et la vaste expérience ne sentent jamais la routine.

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