Snobé par la plupart des maisons d’opéra, le chef-d’œuvre Mignon d’Ambroise Thomas est révélé à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège dans une nouvelle production atypique. S’inspirant des Années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe, l’opéra raconte la rencontre d’un jeune bourgeois viennois avec une jeune femme amnésique au cours d’une représentation d’une troupe itinérante. Le metteur en scène Vincent Boussard place le concept de théâtre au centre de la scénographie. Afin de recréer le lieu de représentation de la troupe itinérante de Jarno, la scène est considérablement approfondie et des chaises y sont placées au fond. Le bord de scène devient ainsi le théâtre d’une double représentation, de la même manière que le Gianni Schicchi présenté en ce moment à La Monnaie. Mais alors que la production bruxelloise réussit ce pari en jouant sur les déplacements latéraux et en insérant un public de figurants, les chanteurs se retrouvent ici à faire des allers-retours incompréhensibles entre fond et bord de scène et le chœur, assis sur les chaises du fond, devient quasiment inaudible. Au fil des actes suivants, lorsque l’on quitte le théâtre de Jarno, ce concept de mise en abyme trouvera d'autant moins de pertinence. D’un point de vue esthétique, la production possède cependant un charme épuré et élégant : le tout est basé sur un monochrome de gris où l’on ne parvient pas à situer l’action dans une époque, du fait des costumes et des décors de styles divers.

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Mignon à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie-Liège

La mise en scène s’écarte de l'épure dans la représentation du « couple » Philine-Laërte. Ces deux personnages normalement secondaires sont particulièrement mis en avant dans cette production, arborant costumes extravagants et attitudes outrancières, si bien que l’action semble moins piquante, moins intéressante quand ils sont absents. S’il évoque son veuvage au début de l’ouvrage, Laërte, dont la ressemblance est troublante avec le personnage de Robert Michael Sheehan dans la série Umbrella Academy, nous questionne quant à son orientation sexuelle et ses intentions vis-à-vis des autres personnages. Quant à Philine, l’ajout d’une longue scène au début de l’acte II où elle se trouve seule au clavecin pour préparer son rôle de Titania étoffe également le personnage : en dehors d’une séductrice redoutable qui piègera Frédéric et Wilhelm, Philine est également une artiste appliquée qui prend son art au sérieux et travaille son rôle avec acharnement. À côté de ces deux personnages hauts en couleur, les tribulations du « couple principal » deviendraient presque secondaires !

Quelles que soient les facéties de la mise en scène, le plateau vocal francophone est un véritable atout dans cette production où l’on jette rarement un œil aux surtitres, à part peut-être pour Jean Teitgen, dont le Lothario tendre et noble possède une projection vocale colossale mais s’empâte sur les voyelles et les aigus. Le Frédéric un brin déjanté de Geoffrey Degives fait belle impression, tandis que Jérémy Duffau donne à Laërte une profondeur tout à fait bienvenue ; les rares interventions chantées sont assumées, mais c’est surtout son personnage goguenard et volubile qui nous aura beaucoup séduit. Le rôle de Wilhelm Meister n’est peut-être pas le plus exaltant du répertoire, mais Philippe Talbot y trouve une fragilité et une bienveillance qui pourrait parfois confiner à la naïveté. La précision de sa diction, conjuguée à la grande clarté de son timbre, parachève ce personnage assez peu dégourdi.

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Philippe Talbot (Wilhelm Meister)
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie-Liège

Timbre voilé, voyelles indistinctes, la Mignon de Stéphanie d’Oustrac convainc nettement moins ; lorsque la chanteuse n’est pas couverte par l’orchestre, comme dans l’air « Connais-tu le pays ? », on ne retrouve pas toute la poésie nostalgique si émouvante qui émane de ce rôle. C’est finalement Jodie Devos en Philine qui aura fait la plus forte impression. Pour sa prise de rôle, la soprano belge joue à domicile. Et l’adéquation avec le rôle est parfait ! Les vocalises acrobatiques, le caractère piquant, la quasi absence de notes graves : tout paraît idéal pour le gosier de Jodie Devos. Dans ses robes et ses perruques fantasques, elle nous livre un air de Titania tout à fait exemplaire, mais l’on aura encore davantage apprécié sa scène solitaire au début de l’acte II, où l’on reconnaît une excellente actrice autant qu’une grande chanteuse.

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Jodie Devos (Philine)
© J. Berger / Opéra Royal de Wallonie-Liège

Les forces instrumentales de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, hormis des interventions solistes subtiles, semblent assez peu inspirées sous la direction aguerrie de Frédéric Chaslin. Si les ensembles galopent joyeusement, on s’étonne de trouver une ouverture et des passages lents cruellement banals. Le chœur de la maison possède déjà plus d’éclat et volupté, malgré quelques soucis de mise en place dus à la mise en scène.

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