Il y avait bien des promesses pour cette nouvelle production de Così fan tutte rescapée de la période Covid à l’Opéra national du Rhin de Strasbourg – promesses hélas peu honorées. La promesse d’un projet théâtral : David Hermann, le metteur en scène, fait le pari d’une concordance des temps entre l’époque du premier XXe siècle avec ses crises majeures (Première et Seconde Guerre mondiale) et le temps du marivaudage des deux couples (Guglielmo et Fiordiligi, Ferrando et Dorabella). L’idée est d’offrir à l’intrigue du libertin Lorenzo Da Ponte une résonance mondiale, historique, où les questionnements intimes font face aux grandes peurs et misères du XXe siècle. Façon de nous dire – peut-être – que l’Homme ne tire pas de leçons de l’Histoire. Façon de nous rappeler surtout que si les Hommes font l’Histoire, la réciproque est juste. Cela fonctionne lors du (faux) départ à la guerre des deux amants qui partent à la Grande Guerre au son de la mobilisation, les cœurs déjà meurtris de l’expérience à venir. Cela fonctionne aussi quand Ferrando, grimé en gueule cassée, chante son air « Un’aura amorosa » alors que sur l’écran de surtitrage défilent les années de convalescence après la guerre : il se défait progressivement de ses bandages et pansements, et l’on voit le temps passer autant que l’amour convalescent pour sa Dorabella se chercher, se reconstruire, dans cet aria d’espoir.

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Così fan tutte à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

Mais ce procédé peine à nous convaincre, les deux histoires ne dialoguant étroitement que trop rarement. Visuellement, le décor de Jo Schramm vire rapidement au décorum avec ses larges panneaux mobiles trop présents. Tout fait un peu faux dans cette scénographie et tend à nous faire croire que la piste d’un jeu buffa a été imaginée, mais non complètement assumée. Si la séance de ball-trap entre Guglielmo et Ferrando ouvre avec justesse l’opéra, les chanteurs paraissent ensuite corsetés dans un foisonnement d’idées de mise en scène qu’ils ne s’approprient plus, et après l’entracte la machine à jouer semble tourner à vide. Par exemple cette séquence de l’acte II dans un cabaret des années 1930, où les allers-retours entre les danseuses du cabaret et les deux couples ne parviennent pas à nous offrir une lecture convaincante des véritables enjeux et questionnements intimes qui sourdent dans la musique. La direction d’acteur oscille entre une résolution comique et une tentative psychologique assez classique. Le résultat – décor et jeu – est académique, presque kitsch.

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Così fan tutte à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

La promesse était aussi musicale : dès l’ouverture, le chef Duncan Ward est joueur et rieur. Les tempos à l’orchestre sont allants dans ces fameux échanges de hautbois, bassons et flûtes. Une certaine canaillerie affleure, qui constitue le propos même de la pièce : un jeu (cruel) de rapport et de pouvoir entre hommes et femmes. Ward recherche assurément la théâtralité de la musique de Mozart. Un simple balayage de la main au début du fameux trio « Soave sia il vento » suffit à infuser ce qu’il faut de suavité pour recréer l’idée des voiles qui se déplient, au large, et emportent Guglielmo et Ferrando dans un magnifique adieu nostalgique. Et c’est cette main qui trahit progressivement le chef dans une direction qui, comme sur scène, n’offre que peu de souplesse en dehors d’un cadre trop rigide. La battue est très marquée et pourtant, elle n’empêche pas les décalages entre la fosse et la scène, comme à la reprise du « Per pietà » de Fiordiligi à l’acte II, où le cor et la soprano se cherchent sans parvenir à commencer ensemble…

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Così fan tutte à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

C’est cette même souplesse, musicale et scénique, qui aura certainement manqué pour que le joli plateau vocal réuni ici puisse s’épanouir pleinement, notamment dans les arias, et éviter ainsi une forme de statisme. Il faudra cependant noter la formidable complémentarité vocale d’Ambroisine Bré (Dorabella) et Gemma Summerfield (Fiordiligi) qui fait des merveilles à l’acte I. Relativement discrète, Ambroisine Bré s’épanouira davantage dans d’autres mises en scène. Jack Swanson (Ferrando) a la voix serrée au début de l’opéra mais sait ensuite la sculpter pour offrir de très belles nuances dans « Un’aura amorosa ». On regrette les sons parfois trop couverts de Nicolas Cavallier (Don Alfonso) qui se fond cependant parfaitement dans son rôle. À trop vouloir embrasser, ce projet étreint finalement mal ces histoires amères d’amants où « chaque pensée se noie dans nos verres ».


Le voyage de Romain a été pris en charge par l'Opéra national du Rhin.

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