À Copenhague, Mithridate perd le fil

- Publié le 25 avril 2022 à 11:47
On se réjouissait de voir cet ouvrage rare à la scène. C’était sans compter sur un « concept » qui s’est débarrassé de tout ce qui fait le drame et raconte une histoire.
Mithridate de Mozart

Que faire d’un opéra quand l’intrigue vous paraît trop complexe ? quand elle n’est pas exactement conforme à la vérité historique ? quand il y a, à votre goût, trop de récitatifs ? Facile, semblent répondre les trois « concepteurs » du spectacle présenté à l’Opéra de Copenhague, Fernando Melo (chorégraphie), Ralf Pleger (mise en scène) et Alexander Polzin (scénographie, costumes) : coupons ! Mais coupons radicalement. Tous ces récitatifs ne sont-ils pas… emmerdants ? Supprimons-les ! Enlevons aussi quelques da capo. Plus d’histoire, et la partition de Mitridate devient une série d’arias augmentée de quelques accompagnati et ensembles, prétexte, voire simple plutôt bande-son d’un show où les personnages semblent n’être plus rien, où leurs rapports cessent d’exister, et où l’essentiel, si l’on peut dire, paraît devoir se concentrer dans la scénographie et la chorégraphie basée sur des mouvements ralentis, l’ensemble des danseurs évoluant comme une sorte de masse.

Le vide

Que dire, dès lors ? On aime ou pas cette succession d’images soigneusement composées, un peu répétitives, mais pour notre part nous regrettons le drame perdu, car in fine ce spectacle ne raconte plus grand-chose. Les deux premiers actes (première partie) se déroulent dans et autour d’une sculpture monumentale figurant un massif rocheux. Elle disparaît au III (comme le corps de ballet, du reste), sans qu’on sache pourquoi, et chaque chanteur est alors installé dans une pièce évoquant les échecs (sans qu’aucune soit identifiable), ces pièces évoluant dans une sorte, à nouveau, de chorégraphie qui nous a paru assez vaine et vide.

Triomphe de l’orchestre

Reste alors la musique. L’acoustique de l’Opéra royal de Copenhague favorise largement l’orchestre, et le Concerto Copenhagen s’en tire avec les honneurs, le chef Lars Ulrik Mortensen mettant habilement en valeur bien des détails de l’écriture (telle partie d’alto, tel surgissement du basson). Si les cordes déploient une sonorité puissante et une précision à peu près à toute épreuve, mention spéciale aux vents, et en particulier au corniste qui réalise un quasi-sans-faute dans le redoutable « Lungi da te » avec Emöke Baráth en Xipharès.

Cette dernière domine une distribution inégale, multipliant les couleurs, aussi à l’aise dans la vocalise que dans le legato, malgré un rôle redoutable. Si Elísabeth Einarsdóttir rate son air d’entrée, presque inaudible (l’acoustique ? le « temps de chauffe » ?), elle se rattrape ensuite : le médium, certes, reste un point faible, mais l’aigu est brillant enchaînant sans sourciller les traits les plus acérés. On n’en dira hélas ! pas autant de Sarah Aristidou, Ismène en mal de puissance, au timbre un peu trop acidulé. Le contre-ténor Morten Grove Frandsen fait un peu mieux dans le rôle de Pharnace, mais le grave et le médium peinent à se faire entendre et la phrase est trop souvent poussive – du reste, le superbe « Già dagl’occhi » est pris un peu trop vite à notre sens et n’émeut guère.

Remplaçant un confrère souffrant, pour cette raison chantant depuis la fosse doublé sur scène par un danseur, Timothy Augustin est Mitridate. Si l’on pourrait souhaiter plus de nuances, un phrasé plus à l’archet, le rôle est maîtrisée, les aigus lancés avec éclat. Ce qui, eu égard à la difficulté de la partition et à la situation, n’est pas rien. En d’autres circonstances, sans doute eût-on pu parler de l’incarnation, le travail d’un chanteur d’opéra n’étant pas seulement de fournir une musique…

Le Concerto Copenhagen, engagé dans une collaboration régulière avec l’Opéra royal – environ une production par an –, méritait mieux que ce gloubiboulga scénique.

Mitridate de Mozart. Opéra royal de Copenhague, 22 avril 2022.

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