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Lucia en Amérique avec Nadine Sierra

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New-York. Metropolitan Opera. 23-IV-2022. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Lucia di Lammermoor (1835) opéra en trois actes sur un livret de Salvatore Cammarano d’après Walter Scott. Mise en scène : Simon Stone. Scénographie : Lizzie Clachan. Costumes : Alice Babidge et Bianca Anon. Lumières : James Farcombe. Vidéos : Luke Halls. Chorégraphie : Sara Erde. Avec : Nadine Sierra, Lucia ; Javier Camarena, Edgardo ; Artur Rucinski, Enrico ; Matthieu Rose, Raimondo ; Éric Ferring, Arturo. Orchestre du Metropolitan Opera, direction : Ricardo Frizza

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Après une prise de rôle éblouissante au Liceu de Barcelone, la soprano s'impose aujourd'hui au MET dans cette nouvelle production de Lucia di Lammermoor de , mise en scène par et dirigée par .

Dans le petit monde des lyricomanes, et pour de multiples raisons, c'est peu dire que cette nouvelle production de Lucia était très attendue : d'abord pour des motifs musicologiques puisque , directeur du festival Donizetti de Bergame, présentait à cette occasion lors d'une conférence la partition autographe de l'opéra de Donizetti créé au San Carlo de Naples en 1835, actuellement conservée à la Bibliothèque Angelo Mai de Bergame ; ensuite par le lustre d'une distribution réunissant autour de toute la fine fleur belcantiste du moment (, Artur Rucinski et Riccardo Frizza) ; enfin pour les débuts du metteur en scène australien au sein de l'institution newyorkaise.

Reconnaissons que nos attentes n'auront pas été vaines : d'abord par la magistrale interprétation de , se hissant d'emblée parmi les grandes Lucia ; ensuite par l'intelligence et la finesse de la mise en scène de qui porte sur le célèbre opéra de Donizetti un nouveau regard, empreint d'une modernité rafraichissante qui fait sens.

Loin des brumes écossaises, Simon Stone transpose le livret de Cammarano au sein de l'Amérique profonde défavorisée, post industrielle, oubliée du monde, où règnent encore la loi patriarcale et les querelles claniques empreintes de violence, de soumission et d'instrumentalisation des femmes. Lucia totalement esseulée dans cet univers délétère qu'elle exècre ne songe qu'à la fuite vers un ailleurs rêvé, ne trouvant d'échappatoire que dans la drogue et dans son amour pour Edgardo dont elle apprendra la prétendue trahison par un message sur Facebook s'affichant sur son smartphone : un clin d'œil doux amer de Simon Stone pour souligner l'importance sans doute abusive que peuvent prendre les réseaux sociaux dans notre vie moderne et connectée ! Contrainte par son frère Enrico à un mariage d'intérêt, elle assassinera son époux lors de la nuit de noces avant de sombrer dans la folie et la mort. Avouons d'emblée que cette transposition moderne et cohérente fonctionne parfaitement en respectant scrupuleusement le livret qu'elle explicite par l'utilisation intelligente de la vidéo, tout en centrant le discours sur la condition de Lucia qu'il est facile d'extrapoler à la condition féminine en général, problème aujourd'hui d'une douloureuse et brulante actualité…La scénographie du plus bel effet, exaltée par de beaux éclairages colorés, figure une petite localité de province du fin fond des États-Unis dont les différentes composantes (maison individuelle, fastfood, banque, pharmacie, motel, usine de traitement des eaux désaffectée, ancien drive-in délabré où sont projetés des extraits du film « My favourite brunette » de Bob Hope en 1947 …) sont présentés sur une tournette encombrée d'épaves de voitures cabossées composant tout le paysage désolé d'une classe sociale se sentant évincée, aux accents cruellement contemporains, dans lequel Stone s'applique à brouiller les cartes entre rêve et réalité par une utilisation savante et judicieuse de la vidéo (enregistrée ou en temps réel) qui permet d'élargir le propos par des flash-backs significatifs tout en affinant la minutieuse exploration de la psyché de l'héroïne qui la conduira au meurtre et au suicide.

La distribution vocale est à la hauteur du travail de mise en scène. Au cours de l'année 2022 Nadine Sierra aura porté le rôle de Lucia sur de nombreuses scènes lyriques (San Carlo, Bayerische Staatsoper, Metropolitan Opera) mais également au disque (« Made for opera » DG) faisant de cette héroïne romantique un de ses rôles fétiches, à l'instar de Gilda, Violetta, Suzanna ou encore d'Ilia. Sa Lucia, ce soir, ne souffre aucun reproche : le timbre est limpide, la technique belcantiste irréprochable avec une ligne de chant dont la souplesse se décline en d'infinies nuances qui trouveront leur accomplissement dans un superbe « Spargi d'amoro pianto », l'engagement scénique est également saisissant tout particulièrement scruté par des gros plans meurtriers. Face à elle campe un Edgardo doux et sincèrement épris, victime lui aussi du système. Son timbre lumineux et son legato sublime s'apparient parfaitement avec ceux de Nadine Sierra dans un splendide « Verano a te » repris en duo au final du I. Artur Rucinski incarne un détestable Enrico très convaincant, vocalement et scéniquement, grâce à son baryton puissant et haut en couleur oscillant entre violence et séduction. Eric Ferring en Arturo et l'irréprochable chœur du MET complètent cette affiche d'exception.

Dans la fosse Riccardo Frizza, en spécialiste de l'opéra italien et du bel canto en particulier, apporte une pierre essentielle à la réussite de cette soirée par sa direction flamboyante et attentive qui maintient de bout en bout l'équilibre avec les chanteurs tout en faisant magnifiquement sonner un Orchestre du MET qui brille par la qualité superlative de ses pupitres (harpe, harmonica de verre, bois et cuivres).

Bref, voici une nouvelle production de Lucia di Lammermoor qui fera date et qu'il sera possible de voir au cinéma sur les écrans de Pathé Ciné le 21 mai prochain…A ne rater sous aucun prétexte !

Crédit photographique : © Marty Sohl / Metropolitan Opera

 

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