Avec cette reprise par Christian Carsten d’une production propre signée Nicolas Joël, le Théâtre du Capitole assure, pour son avant-dernier opéra de la saison, la touche tragique de sa programmation, dans la veine de Wozzeck quelques mois plus tôt. L’œuvre si particulière de Janáček, créée en 1904, affiche des noms bien habitués des planches toulousaines. Reste à savoir comment va être incarnée la cruauté du destin et des sentiments humains...

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Jenůfa au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

La mise en scène répond clairement à cette exigence du livret. Les décors d’Ezio Frigerio sont épurés, au service de l’exposition des forces qui se jouent. L’ouverture du rideau laisse apparaître un fond de scène rocheux au centre duquel se meut une grande roue de moulin à eau. Au-devant, un sol pavé légèrement incliné qui descend vers le public, surélevant la scène mais créant aussi une sensation de malaise. L’acte II voit un bloc rocheux rectangulaire couvrant l’entièreté de la superficie de la scène s’abaisser en guise de plafond et renforcer l’oppression du moment. L’acte III enfin propose une atmosphère plus respirable avec une simple passerelle d’où descendent les invités vers le mariage mais aussi, symboliquement, la bonne société qui s’abaisse au niveau de Jenůfa et des siens.

Les costumes de Franca Squarciapino s’accordent avec la misère et l’indigence du décor mais confèrent également à la production un aspect passé de mode. Enfin, les lumières de Vinicio Cheli très discrètes et réalistes viennent parfois de manière convenue faire surgir les affects sur scène avec par exemple la teinte rouge, prise lors de la première crise de folie de La Sacristine. Les rares interventions du chœur et des danses restent sobres et en retrait du plateau principal.

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Jenůfa au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Le plateau vocal offre de beaux rôles à la gent féminine, en particulier au trio multigénérationnel situé au cœur de l’œuvre. Catherine Hunold est par exemple détonante dans le rôle de La Sacristine. Sa voix chaude et enveloppante pose le personnage ascétique avant de sombrer dans une folie parfaitement négociée où les sauts d’intervalles se font de plus en plus virtuoses et les écarts de nuances de plus en plus soudains. La puissance n’est pas un problème pour la soprano, qui se retrouve pourtant couverte par l’orchestre dans les lignes plus calmes. Marie-Adeline Henry dans le rôle de Jenůfa offre une prestation très discrète, accentuant la perte de sens et l’incontrôlable destin de son personnage. Les traits de douleur ou de colère sonnent toutefois, mais sans doute volontairement, assez étouffés et frêles : le jeu scénique est minimaliste, dans la ligne du décor. L’effet recherché de compassion est réussi, tout comme la libération finale et le pardon accordé aux hommes. Enfin, Cécile Galois dans le rôle de la grand-mère n’est pas en reste, tant par son jeu théâtral que par sa voix de mezzo empreinte d’une forme d’autorité sereine, par opposition à la fille et à la petite-fille adoptive.

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Catherine Hunold (La Sacristine) et Marie-Adeline Henry (Jenůfa)
© Mirco Magliocca

Les rôles masculins ne sont clairement pas sur le même plan. Malgré des qualités de jeu scénique, Marius Brenciu (Laca) et Mario Rojas (Števa) restent largement masqués par l'orchestre ; les deux ténors ne surnagent que lors des fortissimos des moments critiques des actes II et III. Seul le baryton Jérôme Boutillier est particulièrement marquant dans son double rôle du Contremaître et du Maire : d’une voix forte et articulée, il en impose au reste de la population. Les autres rôles sont plus ponctuels. Se distinguent surtout Mireille Delunsch (la femme du Maire) et Victoire Bunel (Karolka, la fiancée de Števa) avec toutes deux des interventions au ton clair et au texte intelligible. Le Chœur du Capitole reste très en retrait, ne s’illustrant vraiment que lors du tutti vocal sans orchestre à la fin du premier acte.

À la direction musicale de l’ONCT, Florian Krumpöck offre un orchestre dynamique et riche de multiples timbres. Le xylophone en loge ressort ponctuellement comme les autres percussions. L’ensemble et les cordes viennent à merveille appuyer l’action, notamment durant l’entrée de La Sacristine ou encore lors de la fuite de Števa quand il apprend la situation de son ancienne amante. On se demandera toutefois s’il n'y avait pas mieux à faire concernant l’équilibre entre la fosse et l’orchestre, tant l’ensemble des chanteurs (à des degrés divers) se sont retrouvés régulièrement couverts par l’ensemble instrumental...

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