Surprise ! Quand le rideau de l'Opéra Comique se lève, nous sommes à Lima et non dans une société off-shore, Piquillo et la Périchole sont chanteurs de rues et non techniciens de surface de ladite société, Don Andrès est bien le vice-roi du Pérou et non un PDG autoritaire et sexiste aux prises avec les représentantes de #MeToo : sachons gré à Valérie Lesort d’avoir, à quelques coupures près, respecté la musique d’Offenbach et surtout le livret de Meilhac et Halévy, sans l’avoir plombé par une pseudo modernisation de la langue ni surchargé de références à l’actualité. Le texte original fonctionne très bien tout seul et suffit à faire rire la salle. Valérie Lesort fait confiance aux spectateurs pour tisser d’eux-mêmes les liens entre le livret et l’actualité, et les clins d’œil à notre époque (le « Je t’aime » de Lara Fabian !) sont d’autant plus acceptables qu’ils restent très peu nombreux – et que l’anachronisme fait partie des ressorts comiques favoris de Meilhac et Halévy. Le spectacle, bon enfant, se déroule dans les plaisants décors signés Audrey Vuong, et surtout les costumes pleins de fantaisie dessinés par Vanessa Sannino, selon une mécanique qui, gageons-le, sera encore mieux huilée au bout de quelques représentations. Pour l’heure, les gags se succèdent en faisant mouche plus ou moins efficacement – si les « mules » de « Vous a-t-on dit souvent » sont irrésistibles, les ballons sauteurs du finale du II paraissent plus dispensables…

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La Périchole mise en scène par Valérie Lesort à l'Opéra Comique
© Stefan Brion

Musicalement, les choses sont assez contrastées, à commencer par le choix des tempos. Certains sont très judicieux : celui de « Mon Dieu, que les hommes sont bêtes », par exemple, qui n’est peut-être pas la meilleure trouvaille mélodique d’Offenbach et donne habituellement souvent l’impression de traîner en longueur. D’autres sont cependant bien lents (le motif hispanisant et plein d’entrain de l’ouverture est étonnamment pesant…), et d’autres au contraire presque trop rapides (le finale du premier acte). C’est sans doute dans les pages en demi-teintes – voire sérieuses – que Julien Leroy est le plus à son aise : l’accompagnement de « La Lettre » est finement ciselé, et la « Complainte des amoureux » prend les couleurs tendres et simples d’une ritournelle populaire. L’Orchestre de chambre de Paris se montre vif et coloré, et le Chœur Les Éléments absolument impeccable : précis (superbe « Cher Seigneur, revenez à vous  ! »), nuancé, intelligible, enjoué !

Des seconds rôles se distinguent notamment les irrésistibles trois cousines de Julie Goussot, Marie Lenormand et Lucie Peyramaure, le Pedro de Lionel Peintre et le Miguel d’Éric Huchet, irrésistible dans son déguisement de marchande de petits pains, ou encore le vieux prisonnier de Thomas Morris (qui interprète également le Premier notaire). Mais ce sont bien sûr les rôles de La Périchole, Piquillo et du Vice-Roi, dans lesquels s’illustrèrent tant d’illustres interprètes, qui focalisent l’attention.

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Philippe Talbot (Piquillo), Tassis Christoyannis (Don Andrès) et Stéphanie d'Oustrac (La Périchole)
© Stefan Brion

Tassis Chistoyannis est un Don Andrès clair de timbre (plus Jules Bastin que Gabriel Bacquier), drôle et parvenant à rendre ce personnage de tyranneau touchant lorsqu’il s’aperçoit qu’il n’est pas aimé. La réplique étonnamment dramatique de l’acte III « La jalousie et la souffrance déchirent mon cœur tour à tour » pousse le chanteur dans les limites les plus graves de sa tessiture, mais il ne fait qu’une bouchée du reste de la partition, avec cependant un français peut-être un peu moins limpide qu’à l’accoutumée. Philippe Talbot possède l’exact format vocal de Piquillo, dont il brosse un portrait à la fois amusant et réellement émouvant. Son air du III (« On me proposait d’être infâme »), joliment phrasé, est un des meilleurs moments de la soirée. Reste le rôle-titre, ici incarné par Stéphanie d’Oustrac. Certaines interprètes ont donné à l’héroïne un côté un peu trop vulgaire, d’autres font au contraire trop « grande dame » (Régine Crespin… mais quel chant !), d’autres encore sont bien trop sages (la regrettée Teresa Berganza…). La mezzo française trouve dans son jeu un juste équilibre entre ces différentes facettes du personnage, et son incarnation de la chanteuse des rues devenue favorite du vice-roi est pleine d’humour, de chaleur, de vivacité. La voix, malheureusement, semble quelque peu fatiguée ce soir, avec un vibrato légèrement accentué, certains aigus un peu durs, une difficulté, parfois, à lier les registres…

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Philippe Talbot (Piquillo) et Stéphanie d'Oustrac (La Périchole)
© Stefan Brion

Quoi qu’il en soit, le public s’amuse et rit de bon cœur, tout comme les artistes sur scène : n’est-ce pas là l’essentiel ? Abondance de Périchole ne nuit pas : les amateurs pourront comparer cette production avec celle que proposera Laurent Pelly au Théâtre des Champs-Élysées en novembre prochain. Marina Viotti y interprétera le rôle-titre.

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