Angélique Clairand avait déjà mis en scène Peer Gynt au Théâtre des Célestins, et c'est elle à nouveau qui réalise la production de l'ouvrage pour son entrée au répertoire de l'Opéra de Lyon. Elle déclare dans sa note d'intention que ce nouveau projet vise à « la recherche d'une théâtralité conjointe entre le théâtre et la musique » et que les échanges ont été permanents avec la cheffe Elena Schwarz. On sait l'originalité et la difficulté de représentation scénique de l'œuvre protéiforme d'Edvard Grieg, d'après la pièce de Henrik Ibsen, entre théâtre, parties symphoniques et chantées, mélange de réalité et de rêve produit par l'imagination débordante – voire la mythomanie – du héros.

Loading image...
Peer Gynt à l'Opéra de Lyon
© Jean-Louis Fernandez

Les premières scènes se déroulent à l'intérieur de la chambre de Peer Gynt qui, comme un adolescent autiste, reste enfermé derrière des parois de plexiglas, sa mère lui passant ses plateaux repas à travers une trappe. Casque sur les oreilles et bonnet vissé sur la tête, parfois enfoncé jusqu'au nez, Peer Gynt montre d'abord l'image d'un geek derrière son ordinateur, vivant virtuellement sur la toile, mais ceci reste le point de départ visuel de ses folles aventures. Les joyeux personnages de la noce qui défilent derrière les hauts voilages transparents encadrant les trois côtés du plateau apportent en effet de l'action sur scène. Plus tard à la cour du roi des Trolls, on amasse des coussins en avant-scène et le chœur féminin, en même temps qu'il exécute un haka néozélandais, montre sa colère envers Peer Gynt qui a séduit la fille du roi, la « femme en vert ».

La réalisation visuelle propose une agréable variété d'images, les cloisons s'élevant par la suite vers les cintres. Peer Gynt se tient debout, micro en main comme une pop-star, sur un plateau à mi-hauteur pour jouer le prophète de l'acte IV, puis ce cadre monte à la verticale au dernier acte et les rideaux tombent d'un coup, installant ainsi un fort contraste menant à une fin plus sombre et énigmatique, quand le « Fondeur » ratisse la terre d'une tombe. On apprécie l'économie apparente et l'efficacité des décors d'Anouk Dell'Aiera qui transforme le voyage intérieur du départ en scènes plus spectaculaires ou oniriques, même si la nature norvégienne reste absente, celle qu'on imagine en particulier pour illustrer le thème musical bucolique le plus connu de la partition.

Loading image...
Peer Gynt à l'Opéra de Lyon
© Jean-Louis Fernandez

Sociétaire de la Comédie-Française, Jérémy Lopez incarne un Peer Gynt plein de vie, d'espoir, de doutes et de mensonges aussi, et compose un personnage complexe et tourmenté au débit naturel, en lequel le spectateur croit en permanence. Dans le rôle de sa mère Åse, la déclamation de Martine Schambacher sonne davantage comme une pièce de théâtre classique à nos oreilles, comme du Corneille ou du Racine. Autre rôle parlé, Jean-Philippe Salerio cumule, de sa voix ferme, les rôles parlés du Roi des trolls, du Courbe, du Fondeur. Précisons que l'ensemble des dialogues, largement majoritaires dans l'ouvrage, sont sonorisés avec soin.

Les parties chantées sont plus rares, le plus grand rôle étant celui de Solveig, tenu par Claire de Sévigné, qui déploie son joli timbre de soprano dans sa « Chanson », mais se montre moins confortable dans la berceuse finale, qui sollicite un grave plus discret chez elle. Malgré son nom, la chanteuse canadienne n'est pas francophone, ce qu'on entend assez clairement lors de ses interventions. Trois autres chanteuses se partagent la distribution vocale, en tête Caroline MacPhie (Anitra, une fille des pâturages), les deux autres filles des pâturages étant défendues par Heather Newhouse et Delphine Terrier.

Loading image...
Peer Gynt à l'Opéra de Lyon
© Jean-Louis Fernandez

Les choristes, Maîtrise de l'Opéra de Lyon et Ensemble vocal confondus, n'ont pas l'impact habituel des chœurs de la maison, mais ils n'en délivrent pas moins de beaux passages, comme le superbe chœur a cappella en fin d'ouvrage. Sous la baguette précise d'Elena Schwarz, les musiciens de l'Orchestre de l'Opéra font un sans-faute, tant au cours des grandes pages aux élans lyriques que dans les petites phrases plus poétiques ou qui se rapprochent du folklore scandinave.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra de Lyon.

***11