Franz Schreker (1878–1934)
Der Schatzgräber (1920)
Opéra en un prologue, quatre actes et un épilogue
Livret du compositeur
Création à l’opéra de Francfort le 21 janvier 1920

Direction musicale : Marc Albrecht
Mise en scène : Christof Loy
Décors : Johannes Leiacker
Costumes : Barbara Drosihn
Lumières : Olaf Winter
Dramaturgie : Dorothea Hartmann

Elis : Daniel Johansson
Els : Elisabet Strid
Der Narr : Michael Laurenz
Der Vogt : Thomas Johannes Mayer
Der König : Tuomas Pursio
Albi : Patrick Cook
Der Wirt : Stephen Bronk
Der Kanzler : Clemens Bieber
Der Graf/ Der Herold : Michael Adams
Der Junker : Jordan Shanahan
Der Schreiber : Gideon Poppe
Die Königin (rôle muet) : Doke Pauwels
Der Schultheiss : Joel Allison
Ein Landsknecht : Tyler Zimmermann
Drei Damenstimmen : Asahi Wada, Margarita Greiner, Martina Metzler-Champion

Chœur et orchestre de la Deutsche Oper Berlin

Berlin, Deutsche Oper, samedi 11 juin 2022, 19h30

Que Franz Schreker soit à l’honneur en France, c’est nouveau ; en Allemagne, le phénomène est bien sûr un peu moins récent, mais c’est avec l’Opéra du Rhin que la Deutsche Oper de Berlin a décidé de coproduire Der Schatzgräber, confié à Christof Loy pour la mise en scène, à Marc Albrecht, schrekerien convaincu, en fosse, et à Elisabet Strid et Daniel Johansson pour les rôles principaux.

Vue d'ensemble

Signe des temps, le retour de Schreker se confirme d’année en année, et même la France ouvre enfin ses scènes à un compositeur qu’elle n’a que trop longtemps ignoré. Enfin, plus précisément, seuls deux de nos théâtres nationaux savent pour le moment que les opéras de Schreker existent, mais ils le savent bien, et servent admirablement ses œuvres depuis près d’une décennie : après la création française d’Irrelohe ce printemps à Lyon, l’Opéra du Rhin présentera en début de saison prochaine Der Schatzgräber dans la production dont la Deutsche Oper de Berlin proposait ce samedi 11 juin la dernière représentation. A Strasbourg et Mulhouse, la distribution sera entièrement différente, le chef et l’orchestre seront différents, mais le spectacle sera le même.

Christof Loy est un habitué de la Deutsche Oper, où il a notamment proposé quelques spectacles qui ont fait date, dans ce même répertoire de raretés du début du XXe siècle : on songe à Das Wunder der Heliane, de Korngold (1927) il y a quelques saisons, et plus récemment à la Francesca da Rimini de Zandonai (1914). Ces deux spectacles, largement salués par la critique, ont été captés et commercialisés en DVD par Naxos. Ils ne sont pas sans points communs, partagés avec ce Schatzgräber dont la première mondiale eut lieu en 1920 à Francfort et qui allait devenir l’œuvre la plus populaire de Schreker (on parle de plus de trois cent cinquante représentations dans les théâtres allemands en l’espace de cinq ans). Le compositeur ayant été interdit par les nazis, il fallut attendre les années 1960 pour que ses opéras soient ressuscités, d’abord en concert, puis enfin, dans les années 1980 en version scénique. Pour bien enfoncer le clou, rappelons une fois encore qu’aucune des salles parisiennes n’a encore daigné monter un des titres de Schreker, alors que Gerard Mortier avait imposé Der ferne Klang à Bruxelles dès 1988.

Der Vogt (Thomas Johannes Mayer), Els (Elisabet Strid), Der Junker (Jordan Shanahan), Albi (Patrick Cook)

La dernière production marquante de Der Schatzgräber remonte à 2012, à Amsterdam. Ivo van Hove avait alors opté pour une transposition assez radicale vers un univers assez sordide, faisant de l’intrigue l’histoire de deux paumés dans une Amérique d’aujourd’hui, avec notamment un usage tout à fait frappant de la vidéo. Les choix de Christof Loy sont tout autres, à commencer par sa décision, qui peut s’avérer parfois problématique, de situer toute l’action dans un unique décor, celui du château du prologue. Décor monumental et superbe, il convient de le souligner, vaste salle aux murs de marbre et à grande cheminée, qui ne se transforme guère (contrairement à celui que Johannes Leiacker avait imaginé par Francesca da Rimini, par exemple), à part pour accueillir une grande table ou se remplir d’un nuage de fumée. Cette unité de lieu surimposée à l’histoire tortueuse conçue par le compositeur – Schreker avait l’habitude d’écrire lui-même ses livrets – ne simplifie certes pas la tâche pour le spectateur, dès lors que toutes les péripéties doivent se dérouler au même endroit, qu’il s’agisse de la pendaison du héros ou de sa nuit d’amour avec l’héroïne. Que celle-ci, de fille d’un aubergiste, devienne l’une des servantes du château ne pose pas trop de problème (sauf lorsqu’elle demande au bouffon du roi qui il est alors qu’elle le côtoie depuis le lever du rideau…), mais l’œil est un peu privé de repères devant cette élégante assemblée de messieurs en smoking ou en uniforme, et de dames en robes du soir des années 1950, une douzaine de figurants assurant en permanence, en plus des moments où le sœur est présent en scène, des allées et venues qui contribuent à animer le plateau, et surtout à traduire l’atmosphère de violence ou de sensualité. On conseille donc vivement aux futurs spectateurs de l’Opéra de Rhin d’avoir bien lu et mémorisé le résumé de l’action, faute de quoi ils risquent de ne pas toujours bien suivre ce qui se passe sur scène.

D’autant que, refusant le côté légendaire de cette histoire – le personnage qui donne son titre à l’opéra est un troubadour errant dont le luth magique a la capacité de retrouver les trésors cachés –, Christof Loy décide que cet individu doté de super-pouvoirs n’est en fait qu’un des serviteurs du château, héros bien malgré lui, entre les mains duquel ses collègues moqueurs placent un luth dont il semble d’abord ne savoir que faire. Face à lui, l’ambition dévorante de l’héroïne n’apparaît que plus démesurée, ce qui est finalement assez conforme aux objectifs de Schreker, peut-être.

Elis (Daniel Johansson), Els (Elisabet Strid)

Justement, le rôle d’Elis a été conçu pour une de ces voix capables d’affronter les déchaînements d’un orchestre opulent : les deux productions de Christof Loy mentionnées plus haut avaient pour protagoniste la soprano américaine Sara Jakubiak, qui s’en est fait une spécialité, un peu comme la Lituanienne Aušrynė Stunditė. La Suédoise Elisabet Strid, habituée des rôles wagnériens et straussiens, s’empare du personnage avec une voix bravant tous les obstacles et incarne cette diabolique manipulatrice avec un investissement qui force l’admiration. Face à elle, son compatriote Daniel Johansson semble lui non plus ne connaître aucune difficulté pour interpréter une partition également exigeante pour le ténor.

Au premier plan, Der Narr (Michael Laurenz)

Troisième protagoniste-clé, le bouffon qui, dans cette production, est présent bien davantage que prévu par le livret (on lui bande les yeux et il « assiste » ainsi à des scènes où il ne chante pas) ; dans ce rôle parfois confié à des artistes en fin de carrière, on apprécie d’entendre une voix agréable et saine. Michael Laurenz est certes un ténor de caractère, mais sans rien du côté nasillard que l’on associe parfois avec ce type d’emploi, et il fait échapper le personnage à la caricature. Autour d’eux s’agitent divers rôles plus secondaires, parmi lesquels on distingue Albi, dont Els a fait son exécuteur des basses besognes (solide Patrick Cook), ou le Bailli, soupirant déçu qui croit mieux arriver à ses fins en faisant arrêter le troubadour (impressionnant Thomas Johannes Mayer). Seule rescapée de la distribution berlinoise que l’on verra à Strasbourg et Mulhouse, Doke Pauwels confère sa grâce de danseuse au personnage muet de la reine, ici bien plus séduisante que ne le suggère le livret.

Le retour de ce Schatzgräber à la Deutsche Oper, on le doit peut-être en partie à Marc Albrecht, qui dirigeait déjà les représentations amstellodamoises il y a dix ans, et qui défend avec conviction cette partition opulente et pleine de beautés mystérieuses. On peut supposer qu’avec Marko Letonja à sa tête, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg se montrera dans quelques mois aussi convaincant que l’orchestre de la Deutsche Oper.

 

Et pour compléter
Der Schatzgräber
à Amsterdam :
Lire Le blog du Wanderer : https://blogduwanderer.com/2012/09/26/de-nederlandse-opera-amsterdam-der-schatzgraber-de-franz-schreker-le-23-septembre-2012-dir-mus-marc-albrecht-ms-en-scene-ivo-van-hove/

Elis (Daniel Johansson), Els (Elisabet Strid), Der Narr (Michael Laurenz)

Avatar photo
Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Article précédentLe huron au bureau
Article suivantLe conte de fée de la migrante

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici