Avant que le rideau ne se lève sur la première des Huguenots dans la mise en scène d’Olivier Py déjà montrée à La Monnaie en 2011 (et reprise ici par Daniel Izzo qui signe également la chorégraphie), la voix de Peter de Caluwe se fait entendre pour expliquer que le Covid-19 ayant frappé de nombreux participants à cette production, non seulement la première a dû être reportée de trois jours, mais toute activité de l’Opéra bruxellois ayant été suspendue pendant une semaine, la pré-générale et la générale ont dû être annulées. L’intendant de la maison bruxelloise termine sa brève intervention en demandant la compréhension et l’indulgence du public.

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Les Huguenots à La Monnaie
© Baus

Autant le dire tout de suite, ces précautions oratoires se montreront parfaitement inutiles une fois la représentation entamée. Dès l’ouverture, le chef Evelino Pidò mène l’orchestre avec une autorité qui ne se relâchera à aucun moment de cette longue (près de cinq heures avec les deux entractes) et passionnante soirée.

À l’écoute d’une partition si riche, si intéressante, si imaginativement orchestrée, on se demande à quoi peut bien être dû le semi-oubli qui a frappé la musique de Meyerbeer. Au déclin du grand opéra, genre rapidement tombé en désuétude ? À la psychologie assez sommaire des personnages ? Au manque de reconnaissance d’une postérité artistique qui lui doit tant ? Aux calomnies antisémites de Wagner sur celui qui fut son bienfaiteur durant sa période parisienne et qu’il admira dans un premier temps ? Car la dette que lui doivent des compositeurs aussi différents que Verdi, Wagner ou Moussorgski paraît ici évidente.

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Les Huguenots à La Monnaie
© Baus

Étonnamment moderne par son sujet, le livret de Scribe dénonce l’intolérance qui conduira au Massacre de la Saint-Barthélémy. Bien entendu, on y retrouve les amours impossibles – ici entre le huguenot Raoul de Nangis et la catholique Valentine de Saint-Bris – si prisées par l’opéra romantique.

Olivier Py a pris ici le parti d’une relative sobriété, se concentrant sur les oppositions religieuses où il met intelligemment en évidence le fanatisme qu’on retrouve dans les deux camps, même si ce sont bien les protestants qui seront les victimes de ce qu’il faut bien appeler un pogrom. Le mot n’est pas choisi au hasard, car le parallèle est évident entre les huguenots attendant la mort vêtus d’un imperméable beige, le regard triste, un brassard au bras et une petite valise à la main et les juifs que les nazis et leurs complices enverront en déportation un siècle après la création de l’œuvre en 1836.

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Les Huguenots à La Monnaie
© Baus

Plutôt que d’opter pour une reconstitution historique, Py mélange allègrement les époques, puissamment aidé par les décors sobres et puissants et les costumes de Pierre-André Weitz. À l’exception de deux éphèbes fort dévêtus et qui ont l’air de bien s’amuser, l’orgie du premier acte voit les participants vêtus d’un costume noir, chemise blanche et cravate noire. Les protestants préfèrent eux les costumes à redingote et le haut-de-forme. Les dames catholiques semblent sorties d’un tableau du siècle d’or hollandais, alors que les huguenotes arborent ces longues robes grises à col haut qu’on retrouvera bien plus tard chez Khnopff ou Hammershøi. Lors des affrontements entre catholiques et protestants, les premiers portent des cuirasses dorées, mais c’est un fusil d’assaut que bénira un évêque. Et c’est un chevalier en armure dorée – qu’on dirait sorti de la Guerre des étoiles – qui ordonnera les massacres en frappant une table de sa croix.

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Les Huguenots à La Monnaie
© Baus

Cette œuvre qui requiert des chanteurs de première force est remarquablement défendue par une distribution de très grande qualité, sans aucun point faible. Voix saine, technique imparable, le Raoul d’Enea Scala est proprement sensationnel, alors que Lenneke Ruiten nous donne une Marguerite de Valois forte et sensuelle. Karine Deshayes incarne avec beaucoup de sensibilité une Valentine déchirée entre son amour et sa foi, alors que le Saint-Bris de Nicolas Cavallier est le modèle du père noble. Dans le rôle travesti du page Urbain, Ambroisine Bré mène une voix claire mais peu colorée avec une agilité remarquable. En dépit d’une diction française perfectible, Vittorio Prato fait un très crédible Comte de Nevers, qui passera de débauché à homme d’honneur. La révélation de la soirée est le Marcel d’Alexander Vinogradov, huguenot austère et inflexible (Meyerbeer pose ses paroles sur le choral luthérien Ein feste Burg ist unser Gott chaque fois qu’il peut pour qu’on ne s’y trompe pas). Parfaitement préparé par Emmanuel Trenque, le Chœur de La Monnaie se couvre de gloire, tout comme l’orchestre, impeccable sous la direction magistrale et passionnée d’Evelino Pidò.

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