Philippe Herreweghe magnifie le Faust de Robert Schumann à l'Opera Ballett Vlaanderen

Xl_faust_de_robert_schumann___l_opera_ballett_vlaanderen2 © Annemie Augustijns

Prévue en juin 2020, c’est finalement deux ans plus tard que cette production du Faust de Robert Schumann (communément intitulé « Scènes du Faust de Goethe »), imaginée par le cinéaste allemand Julian Rosefeldt, est enfin représentée à l’Opera Ballet Vlaanderen (site d’Anvers). On le sait, inutile de chercher une quelconque continuité dramaturgique dans cet oratorio à la dimension en grande partie philosophique et à la structure fragmentée – d’où sans doute sa rareté sur les affiches des théâtres, même si l’Opéra de Montpellier reprendra cette production la saison prochaine, tandis que Genève l’avait proposé sous format concertant il y a quatre ans. La cohérence n’est pas le souci premier de Schumann, du moins en termes de livret. Car il y a une vraie logique musicale dans la partition qui, en ce sens, se situe à mi-chemin entre les adaptations « opératiques » (Gounod, Boito…) et « symphoniques » (Liszt, Mahler…).

Le travail du cinéaste allemand se résume au final aux images vidéo qui sont projetées sur un écran prenant toute la hauteur de la scène, tandis qu’il revient à la chorégraphe Femke Gyselink (une disciple d’Anna Teresa De Keersmaeker) d’ « animer » les chœurs et les solistes en contre-bas. Une direction d’acteurs plutôt discrète, puisqu’elle ne leur fait pas faire grand-chose si ce n’est des exercices de stretching ou de yoga, et changer de vêtements à longueur de temps au moyen d’une immense penderie qui prend toute la largeur du fond de scène.

Les images s’avèrent bien plus intéressantes, en ce qu’elles soutiennent efficacement le caractère universel et panthéiste de l’ouvrage. D’abord défile un résumé du mythe, façon Star Wars, avant que des images de planètes et de galaxies ne s'enchaînent les unes après les autres. C’est ensuite le facteur humain qui intervient, avec cet os qui surgit dans l’espace, puis des vaisseaux spatiaux qui parcourent l’univers (deux scènes empruntées au fameux 2001 L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick bien sûr !). Et tout à coup, retour sur Terre, avec une caméra qui longe d’abord une dune de sable sinueuse qui débouche ensuite sur une forêt. Les images ralentissent et montrent des individus d’abord seuls ou en couple, au sein d’une superbe pinède, avant de se fixer sur une clairière où a lieu une rave-party. On y voit des gens de tous âges, la mine réjouie voire extasiée, la plupart yeux fermés, juste heureux d’être ensemble et qui communient à travers la musique dans un paysage bucolique. Une spiritualité que la gestique des chanteurs / choristes en contrebas de l’écran, autrement prosaïque, mécanique et gauche, est malheureusement loin d’atteindre (photo).

Une des réussites du spectacle est la perfection des chœurs, ceux conjugués du Collegium Vocal Gent, du Chœur et du Chœur d’enfants de l’Opera Ballett Vlaanderen, ces derniers ayant énormément à faire dans cet oratorio. Du côté des solistes, le baryton autrichien Rafael Fingerlos offre une vocalità souple et nuancée au rôle-titre, au phrasé de surcroît éloquent. Dans son autre rôle, celui du Dr Marianus, son air « Höchste Herrscherin der Welt », accompagné par une harpe toute céleste, saisi à la gorge. Le baryton-basse anglo-américain Sam Carl (Méphisto) n’a pas vraiment la noirceur et les graves d’un démon, mais il est vrai que Schumann ne fait pas faire à son personnage de « diableries ». On apprécie mieux la voix enveloppante de la soprano australienne Eleanor Lyons (Gretchen), et plus encore le timbre clair et si nuancé du ténor austro-turc Ilker Arcayürek (Ariel). Les autres voix féminines (Lore Binon, Sara Jo Benoot, Zofia Hanna, Elisa Soster et Yu-Hsiang Hsieh) incarnent chacune plusieurs personnages intervenant brièvement, et sont également idéalement choisies par leurs couleurs spécifiques.

Mais le triomphateur et grand maître d’œuvre de la soirée est bien l’immense chef flamand Philippe Herreweghe qui se montre merveilleusement à l’aise dans la conduite de l’ouvrage de Schumann, rendant très claire les imbrications permanentes des soli et des chœurs, ou plutôt des soli « dans » les chœurs, caractéristiques de cet ouvrage. Il y a constamment une grandeur évidente dans le déroulement du flux musical et poétique de la partition – porté par un Orchestre Symphonique d’Anvers en état de grâce –, et le phrasé shumannien (avec ses thèmes ondulants) est ici parfaitement maîtrisé, pour ne pas dire magnifié, tant et si bien que l’on se laisse entraîner avec bonheur dans la grande houle vivifiante qui sort de sa baguette.

Emmanuel Andrieu

(Scène de) Faust de Robert Schumann à l’Opéra d’Anvers, jusqu’au 2 juillet 2022

Crédit photographique © Annemie Augustijns

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