Festival d’Aix-en-Provence 2022 (1)

Une résurrection laïque.

Festival d'Aix-en-Provence 2022 (1)

Sept nouvelles productions d’opéra dont deux créations mondiales, trois opéras en version de concert, dix-sept concerts et récitals, le tout servi par sept orchestres et une phalange d’interprètes de premier plan : l’édition 2022 du Festival d’Aix-en-Provence, très fournie, débute, sous une chaleur caniculaire, avec un spectacle choc : Résurrection, sous-titre de la Deuxième Symphonie de Mahler.

Une symphonie mise en scène ? L’idée est d’autant plus surprenante que la symphonie en question comporte à peine une quinzaine de minutes chantées. Mais le metteur en scène italien Romeo Castellucci aime les défis ; n’a-t-il pas mis en scène dans le cadre de ce même festival le Requiem de Mozart, en 2019, avec succès ?

Cette résurrection est doublée d’une autre elle-même doublée d’un paradoxe : c’est que le festival d’Aix s’ouvre à … Vitrolles, au Stadium, abandonné depuis plus de vingt ans. Planté au milieu de nulle part sur les collines de bauxite, ce parallélépipède de béton noir à l’architecture on ne peut plus brutaliste, signé par l’architecte provençal Rudy Ricciotti en 1994, a été laissé à l’abandon dès 1998 à la suite de conflits politiques locaux. Devenu une ruine contemporaine livrée aux squatteurs et graffiteurs, l’éphémère terrain de handball abrite désormais une scène gigantesque qui fait face aux gradins en béton où prend place le public, avec, entre les deux, une fosse profonde où sont logés l’orchestre, les chœurs et les deux chanteuses. Car il n’y a que deux solistes pour interpréter la longue invocation qui clôt la symphonie, sorte d’hymne à la renaissance. En l’occurrence, la jeune et impressionnante mezzo-soprano française Marianne Crebassa qui réussit avec éclat le tour de force de passer de sa tessiture de mezzo à celle d’alto requise par la partition. Et la sud-africaine Golda Schultz qui assure la partie de soprano.

Un lieu hors-norme pour une Symphonie n° 2 en ut mineur qui ne l’est pas moins, créée en 1895 par Gustav Mahler avec ses cinq mouvements et sa durée (80 minutes en moyenne) convoquant un orchestre pharaonique dans un déploiement de cuivres et de percussions par moments apocalyptique. Il faut toute l’ardeur, la subtilité et l’autorité d’un chef comme le finlandais Esa-Pekka Salonen, à la tête de l’Orchestre de Paris très réactif, pour venir à bout d’un tel monument, doté d’une très grande variété de couleurs, du plus sombre au plus joyeux, du plus léger au plus élaboré.

La variété, c’est précisément ce qui manque le plus à la mise en scène de Castelluci qui inflige un spectacle d’un réalisme insoutenable. Au début du moins, car – et c’est bien le pire – on s’habitue à tout et même l’horreur. On assiste en effet, tétanisé, à l’exhumation progressive par une équipe d’humanitaires en salopette blanche de cadavres enfouis dans les monticules de terre qui recouvrent la scène. L’équipe s’étoffe progressivement et met à jour peu à peu un charnier. Ces bénévoles interprétés par des figurants creusent la terre à main nue avant qu’une pelleteuse n’entre en action. Et que des camionnettes chargées de matériel montent sur scène avec force vrombissements !

Fresque du Jugement dernier

Le propos entre en résonance avec l’actualité de la guerre en Ukraine et des massacres qui y sont commis. Mais était-il nécessaire d’aller jusqu’à la présentation de cadavres d’enfants et même de bébés, factices certes et néanmoins très réalistes, pour qu’apparaisse toute l’horreur d’une fosse commune ? Castellucci s’en défend, arguant que la conception du spectacle remonte à presque deux ans et qu’il est surtout inspiré des fresques du Jugement dernier des peintres italiens et flamands où l’on voit les corps des défunts s’extirper du sol pour revenir à la vie sur terre, comme celle, saisissante en effet, de Luca Signorelli, à la cathédrale d’Orvieto.

Et la résurrection dans tout cela ? Vidée de son sens religieux, elle est ici purement laïque : elle tient, dit le metteur en scène, à l’attention et au soin que mettent les équipes d’humanitaires à traiter les cadavres, à tenter de fournir des éléments pour les identifier et leur donner un nom, bref à les rendre à la communauté des humains. Seule lueur d’espoir sur cette scène désespérante : l’acharnement que met une jeune fille à fouiller la terre à main nue alors que ses camarades abandonnent peu à peu le terrain. Il semble en effet vital pour elle de s’assurer que la terre ne recèle plus aucun corps abandonné, qu’il en va de sa propre vie.

Au finale, la pluie investit la scène désertée, en quoi les plus optimistes verront un symbole de purification. Et peut-être de renaissance, sinon de résurrection.

Illustration : Résurrection selon Romeo Castellucci. Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Monika Rittershaus.

Résurrection au Stadium de Vitrolles jusqu’au 23 juillet ; www.festival-aix.com
Direction musicale : Esa-Pekka Salonen. Mise en scène, scénographie, costumes, lumière : Romeo Castellucci. Dramaturgie : Piersandra Di Matteo
Soprano : Golda Schultz. Alto : Marianne Crebassa. Chœur et Orchestre de Paris.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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