L’Elixir d’amour enivre le public des Chorégies d’Orange
Inaugurée à Lausanne en 2012 et maintes fois reprise depuis lors sur différentes scènes d’opéras, dont Bordeaux il y a quelques semaines, le spectacle conçu par Adriano Sinivia et ses collaborateurs (Christian Taraborrelli pour les décors, Enzo Iorio pour les costumes, Patrick Méeüs pour les lumières, Davide Pellizoni pour les environnements vidéos) n’a rien perdu de son charme et de sa délicatesse dans le cadre de sa présentation sur une scène ô combien imposante.
Le monde lilliputien des paysans se retrouve simplement démultiplié en nombre d’intervenants, alors que les épis de blé, les coquelicots, les projections d’animaux qui fondent le spectacle –sans oublier la grande roue de tracteur– continuent de ponctuer l’action qui conserve toute sa vivacité. Belcore entouré de militaires d’opérette semble ici encore plus fat et ridicule, le torse constamment gonflé de suffisance, tandis que Dulcamara entre en scène sur une immense bouteille de Bordeaux transformée en roulotte de fortune.
Adriano Sinivia a simplement accentué à plusieurs reprises les situations comiques, mais toujours avec goût et en situation. Le genre melodramma giocoso demeure complètement présent au sein de son approche, aux instants comiques succédant les moments d’intimité privilégiés notamment entre Adina et Nemorino.
Placé à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Giacomo Sagripanti, qui dirige sans partition, en livre une lecture à la fois attentive, pleine de vie et de rebondissements. Aussi à l’aise dans les scènes de foule que dans les pages plus intensément lyriques, il apporte au spectacle un éclat décisif. Les Chœurs de l’Opéra Grand Avignon et de l’Opéra de Monte-Carlo, coordonnés par Stefano Visconti, malgré quelques incertitudes au 1er acte (mais le mistral soufflait avec force en ce soir de représentation), remplissent pleinement leur mission, donnant vie à ces paysans crédules, prêts à gober toutes les ruses des charlatans.
Et le public, lui aussi de succomber au bonimenteur Dulcamara, surtout interprété par un artiste de la trempe d’Erwin Schrott. Plus qu’à l’aise au plan scénique, il incarne ce personnage démesuré et au bagout sans limite avec une autorité qui semble pleinement naturelle, occupant la scène avec volupté et largesse. Sa voix de baryton-basse puissante et très timbrée, ici bouffe, sait aussi se parer de souplesse pour exposer, avec toute la vivacité requise, les multiples bienfaits apportés par son élixir. Erwin Schrott brave avec insolence le mistral et semble même comme en triompher.
Dans le rôle de Belcore, le baryton polonais Andrzej Filończyk réserve de belles surprises au public par sa forte présence scénique et son sens viscéral de la situation décalée. La voix porte sans effort, étendue et d’une couleur affirmée très caractéristique.
Avec Adina, Pretty Yende fait son entrée aux Chorégies d’Orange. Un peu en retrait au plan vocal au 1er acte bien perturbé par le vent, elle retrouve ensuite toute sa dynamique, sa palette de couleurs et ses facilités innées dans l’aigu. Sa voix au timbre ravissant se plie avec aisance aux finesses de l’écriture du rôle, avec de belles demi-teintes éthérées et un souci avéré de la joliesse.
Remplaçant René Barbera touché par le Covid, Francesco Demuro est venu sauver le spectacle entre deux représentations des Pêcheurs de perles à l’Opéra d'État de Berlin. Comme sa partenaire, le 1er acte ne convainc pas totalement, mais la voix retrouve toute sa fraîcheur et sa juste étendue au 2ème acte. Son timbre solaire, la souplesse de son phrasé, la sincérité de son interprétation entre naïveté et gaucherie, culminé sur un aigu pondéré, donne tout son caractère au personnage de Nemorino. Devant l’accueil enthousiaste du public, il bisse son air emblématique, “Una furtiva lagrima”, mais c’est le duo d’amour entre Adina et Nemorino qui fait culminer la soirée par la complicité des deux interprètes, avec art, virtuosité et toute l’émotion attendue.
Enfin, dans le rôle de Giannetta, Anna Nalbandiants donne à entendre une voix de soprano souple et assez lumineuse, tout en incarnant ce rôle mineur avec conviction.
Le public du Théâtre Antique salue avec ferveur et générosité ce spectacle qui apporte indéniablement le sourire, voire le rire.
La soirée sera retransmise sur France 5 ce vendredi 22 juillet 2022 à 21h