Une Traviata sauvée de l'ennui par ses (jeunes) chanteurs au Teatro di San Carlo de Naples

Xl_la_traviata_au_teatro_di_san_carlo_de_naples © Luciano Romano

Pour la huitème fois en dix ans, la production de La Traviata imaginée en 2012 par le réalisateur turco-italien Ferzan Ozpetek (Hammam, Tableau de famille, La Fenêtre d’en face…) est reprise au Teatro di San Carlo de Naples, désormais dirigé, on le sait, par Stéphane Lissner. Le cinéaste transpose l’action dans les années 1910 (contre les 1850 du livret) dans un appartement bourgeois parisien mais décoré à la manière orientale – avec pouffes, tissus damassés sur les murs et autres narguilés de rigueur (scénographie de Dante Ferretti). Les beaux costumes d'Alessandro Lai complètent l’idée, avec des accessoires évocateurs de la mode turque, comme de nombreux fez placés sur les têtes masculines ou des turbans pour les femmes. Grand amateur de Proust, Ferzan Ozpetek dit s’être inspiré d’A la Recherche du temps perdu pour (re)contextualiser l’ouvrage de Giuseppe Verdi... L’immense escalier du II, à la fête de Flora, laisse bientôt place dans le dernier acte au lit presque mortuaire d'une Violetta plus rongée par la douleur de la solitude et des conventions que par la maladie. Mais pour étonnant que cela puisse paraître pour un homme de cinéma, la pauvreté des idées et une direction d’acteurs très relâchée et particulièrement statique suscitent l’ennui sur la durée.

Par bonheur, le chant verdien est porté haut ce soir, à commencer par la Violetta de Claudia Pavone. Un nom à retenir, même si cette superbe soprano italienne ne nous est pas inconnue, puisqu'on l'avait déjà chaleureusement applaudie dans un autre titre verdien au Festival de Macerata en 2019. La jeune cantatrice possède un séduisant timbre cuivré et dispose d’un métier déjà très sûr pour son âge. Le premier acte ne met en péril ni son émission, homogène et libre dans le registre aigu (le « Sempre libera » est couronné d’un magnifique contre-Mi bémol), ni une vocalisation aussi impeccable que puissamment projetée. L’évolution du personnage, de l’étourdissement passionnel à l’abattement et à la déréliction, du renoncement à l’amour jusqu’à la douleur et la mort, est rendue avec justesse et pudeur. Les accents toujours justes de la chanteuse trouvent à se déployer dans les grands moments de ferveur comme « Amami Alfredo », bouleversant en termes de puissance dramatique. Tout ce qui est écrit piano legato est également chanté avec un superbe raffinement tel le « Dite alla giovine », aux piani divinement dosés. Les colorations de l’air « Addio del passato » sont remarquables de variété et concourent à rendre très émouvante la mort de la phtisique, vécue de l’intérieur. Signalons qu’elle incarnera ce même rôle au Théâtre du Capitole la saison prochaine, pour ceux qui voudraient l’y découvrir !

Si son format vocal n‘est pas particulièrement ample, le fringant ténor italien Francesco Castoro – entendu pour la première fois (et avec émoi !) pas plus tard que le mois dernier au Teatro comunale de Bologne – a du moins l’art et les moyens de camper un Alfredo d’une vocalità infaillible (le contre-Ut de la cabalette !). Son timbre de velours contrôlé par une technique aguerrie, son refus de tout excès dans une ligne de chant admirable et son impressionnant contrôle du souffle lorsqu’il entonne par exemple le fameux « De’ miei bollenti spiriti », font de ce jeune chanteur un des Alfredo les plus exaltants du moment. Baryton verdien des plus convaincants, le jeune Ernesto Pettidéjà entendu dans le rôle à l’Opéra Grand Avignon en 2018 – domine le second acte par la chaleur et l’équilibre d’une voix généreuse, et rend le personnage de Germont père presque sympathique. Il délivre un « Di Provenza il mar » de toute beauté, qui nous a personnellement fait frissonner de plaisir. Les autres rôles sont bien tenus, notamment la Flora parfaite d’aisance de Valeria Girardello.

Enfin, malgré une carence de dynamisme au premier acte, le chef italien Francesco Ivan Ciampa mène à bon port le reste de la partition, soucieux de trouver des couleurs et des tempi aussi fluctuants que les situations du drame, par ailleurs très bien suivi par un Orchestre del Teatro di San Carlo dans une forme olympique, et par un chœur maison tout aussi irréprochable !

Emmanuel Andrieu

La Traviata de Giuseppe Verdi au Teatro di San Carlo de Naples, le 28 juillet 2022

Crédit photographique © Luciano Romano

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