Le Triptyque à Salzbourg : Franz Welser-Möst et Asmik Grigorian au sommet

- Publié le 23 août 2022 à 17:27
Chef et soprano triomphent dans le chef-d'œuvre de Puccini, que Christof Loy réorganise de façon fort convaincante, à la lumière de La Divine Comédie de Dante.
Gianni Schicchi

Gianni Schicchi est promis à l’enfer, où Dante le croisera. Suor Angelica, elle, s’envole au paradis. A Salzbourg, Christof Loy réorganise le triptyque puccinien à la lumière de La Divine Comédie : l’opéra comique qui, depuis la création new-yorkaise de 1918, l’achevait sur un éclat de rire, devient son ouverture. Intéressante idée, que justifie l’ensemble lui-même. Dans Gianni Schicchi, le bonheur est en effet une promesse. La mort de l’enfant brise celui du couple d’Il tabarro, puis conduit Suor Angelica de l’enfer de la douleur à la lumière du ciel. Le metteur en scène allemand croit-il au paradis ? Il fait seulement du suicide de la religieuse le « Liebestod d’une mère » : elle meurt heureuse, son enfant blotti entre ses bras.

La production se situe au plus près des trois œuvres, loin de tout Regietheater : elle raconte les trois histoires. Au millimètre, la direction d’acteurs crée aussi des personnages à partir des rôles secondaires, si importants dans les trois opéras – héritiers cupides, travailleurs rêvant d’une autre vie ou religieuses candides. Et elle installe, quand il le faut, une véritable tension, que ce soit pour l’attente anxieuse de l’héritage, l’effondrement du couple de Michele et Giorgetta ou la rencontre entre Angelica et sa tante, d’une presque insoutenable cruauté. Du vrai théâtre en musique, dans un décor au réalisme minimal et épuré : un tour de force alors que l’immense plateau du Festspielhaus ne se prêtait guère à l’intimisme du Triptyque.

Superbes atmosphères

Franz Welser-Möst souligne amoureusement les raffinements de l’instrumentation, à la tête d’un Philharmonique de Vienne à la beauté capiteuse, confirmant que Puccini, par sa science des timbres, était un maître de l’orchestre. S’il se tient un peu trop à distance du comique pétillant de Gianni Schicchi, il crée partout, sans relâcher le fil du récit, de superbes atmosphères – le début d’Il Tabarro baigne dans une pénombre blafarde, celui de Suor Angelica semble suspendu hors du réel.

L’irradiante Amisk Grigorian chante les trois rôles de soprano, renforçant l’unité du propos – pour elle c’est une même femme. Après un « O mio babbino caro » de Lauretta assez timidement contraint, sa Giorgetta déploie les splendeurs d’une voix au timbre de fruit mûr, à l’homogénéité parfaite, superbement conduite, à l’aigu solaire, avant de nous bouleverser en Suor Angelica au « Senza mamma » de rêve : saisissante est la scène avec la tante de Karita Mattila, cheveux platinés, tailleur pantalon et talons aiguilles, plus vamp que vieillarde, d’un cynisme glacial, qui gère artistement les restes d’une voix au médium éteint et impose une formidable présence.

Rôles secondaires parfaits

Si le Rinuccio d’Alexey Neklyudov porte beau, il peine un peu à passer la rampe ; pas moins avantageux, le Luigi de Joshua Guerrero, se projette mieux. On entend heureusement des clés de fa stylées, rebelles aux outrances d’un prétendu vérisme : en rupture avec les Schicchi en bout de course, Misha Kiria nous rappelle qu’une basse bouffe doit aussi avoir une ligne de chant, et Roman Burdenko (Michele) phrase sa jalousie en vrai baryton Verdi. Rôles secondaires parfaits, où la jeune génération, dont certains sont membres du Young Singers Project, côtoie des vétérans, parmi lesquels se distingue Enkelejda Shkosa, impayable Zita, Frugola nostalgique ou Suor zelatrice engoncée.

Le Triptyque de Puccini. Salzbourg, Grosses Festpielhaus, le 21 août.

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