A Salzbourg, La Flûte enchantée vire au tragique

- Publié le 29 août 2022 à 09:00
Lydia Staier signe une mise en scène bondissante, virtuose, pleine de gags, avant que le rêve ne se brise sur les horreurs de la Grande Guerre. La distribution, sous la direction vif argent de Joana Mallwitz, n’est malheureusement pas à la hauteur.
La Flûte enchantée de Mozart

Une grande maison bourgeoise, au début du XXe siècle, avec cave au sous-sol, salle à manger et chambre d’enfants à l’étage. La mère est hystérique, le père sans doute approché par le complexe militaro-industriel. Quand les trois bonnes couchent les trois enfants, le grand-père (rôle parlé) leur fait la lecture, la plupart des dialogues du Singspiel disparaissant alors au profit du récit. Les bambins entrent ainsi dans l’univers de La Flûte enchantée, dont ils se font à la fois les spectateurs et les acteurs – les bonnes devenant les dames, le père Sarastro et la mère la Reine de la nuit, pendant que le garçon boucher se transforme en Oiseleur et le livreur de charbon en Maure. Lydia Staier signe une mise en scène bondissante, virtuose, pleine de gags, entre le conte et le cirque, faisant pivoter le plateau pour passer d’un lieu à l’autre, de l’intérieur à l’extérieur. En plaçant les enfants au centre de la production, elle modifie la perspective, pas le propos… jusqu’à l’arrivée de Sarastro, qui fait tout basculer.

Un coup de torchon. Le message maçonnique de la fraternité vole en éclats, les Lumières ne sont qu’un paravent trompeur : Sarastro recrute de la chair à canon pour la Grande Guerre, le grand-père revit des souvenirs de combats et de destructions, de cadavres et de corps mutilés, s’identifiant au jeune officier Tamino alors que Pamina lui rappelle le suicide de l’épouse. La comédie a viré au tragique, le rêve s’est brisé, il n’est pas sûr que les enfants s’en remettent. 

Mélange des registres

On ne reprochera nullement à Lydia Steier de rompre, dans ce second acte, avec l’optimisme béat d’une image d’Epinal, tant sa production est cohérente, tant elle continue à manier brillamment le mélange des registres, tant sa direction d’acteurs reste affûtée. Après la pandémie, avec la guerre en Ukraine, le spectacle résonne en nous autrement qu’en 2018 – présenté alors au Festspielhaus, il a été retravaillé pour la scène plus intimiste du Haus für Mozart. On ne pardonnera pas, néanmoins, la superposition trop fréquente du récit grand-paternel à la musique, comme si la partition n’était plus qu’un support – Papageno perd même dans l’affaire un des couplets de son premier air.

Pamina de chair et de sang

La distribution n’est malheureusement pas à la hauteur, malgré la présence irradiante de la Pamina de chair et de sang de Regula Mühlemann, pas trop légère de voix, timbre à la lumière charnue. Annoncé malade, Mauro Peter assure élégamment en Tamino, mais modestement. Si Brenda Rae égrène les aigus de la Reine de la nuit, elle n’est qu’appliquée, sans le moindre brillant. Tareq Nazmi, avec ses graves peu projetés, n’a guère plus d’éclat en Sarastro, dont il ne possède ni la noblesse ni l’aura. Dépourvu de ligne, Georg Nigl joue Papageno plus qu’il ne le chante, on cherche la voix du Monostatos de Peter Tantsits. Une charmante Papagena, des Dames correctes ne font pas un cast. De Salzbourg on attend autre chose – et on peut aujourd’hui trouver pour La Flûte des interprètes d’une autre trempe.

Heureusement, les trois Wiener Sängerknaben sont magnifiques, comme le grand-père de Roland Koch.  Et Joana Mallwitz, baguette vif argent, imprime à la production un irrésistible élan, débordant d’une énergie toujours contrôlée. Les Wiener Philharmoniker font le reste.

La Flûte enchantée de Mozart. Salzbourg, Haus für Mozart, le 24 août.

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