Représentation en demi-teinte pour l’ouverture de cette nouvelle saison à l’Opéra national de Paris, avec Tosca de Puccini, sous la baguette de son directeur musical Gustavo Dudamel. La distribution plaçait pourtant cette rentrée sous les meilleurs auspices, avec les débuts à Bastille de Saioa Hernández en Tosca, et le retour du ténor Joseph Calleja, ainsi que du Scarpia de Bryn Terfel déjà apparu dans cette production en 2016.

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Tosca à l'Opéra national de Paris
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Le lever de rideau – soutenu par un tutta forza à faire trembler les murs – révèle l’élément central de la mise en scène de Pierre Audi : une gigantesque croix, monolithique et intimidante. Omniprésentes du premier au troisième acte, ses trois tonnes écrasent de tout leur poids le drame qui se joue quelques mètres plus bas, comme un symbole de la toute-puissance divine sur le genre humain. La maîtrise de la scénographie permet cependant d’éviter toute lourdeur et rend digeste l’intrigue. Utilisée comme élément d’architecture dans le premier acte, aussi bien que comme la métaphore d’un Christ pantocrator dans le deuxième, cette croix embrasse de son ombre le globe terrestre sur lequel Scarpia s’apprête à recevoir le baiser de Tosca. Le dernier acte laisse place à une esthétique quasi pasolinienne où la croix inclinée semble dire adieu à la scène, prête à recueillir Tosca dans un finale ouvert qui ne manque pas d’élégance. Si la scénographie inspirée du théâtre antique est à souligner, le jeu d’acteur l’est également… mais l’inspiration est cette fois-ci à chercher dans le théâtre de boulevard. Gestes démesurés, tables renversées, ce vaudeville déconcertant s’enfonce dans le grotesque, si bien qu’au premier acte on croirait voir un trio de sacristains, et au second on ne sait plus qui de la Tosca ou de la Castafiore est sur scène.

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Saioa Hernández (Floria Tosca) et Bryn Terfel (Scarpia)
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Pourtant, Saioa Hernández dans le rôle-titre régale le public d’une prestation vocale à la fois ample et généreuse, véritable incarnation de toute la puissance lyrique du personnage. Parfaitement à l’aise dans toute sa tessiture, la soprano ne craint aucun pianissimo et sa voix pleine d’harmoniques révèle un vibrato aussi maîtrisé qu’élégant, notamment dans son « Vissi d’arte » naturel et sans excès.

Bryn Terfel campe un très bon Scarpia et si son personnage ne glace pas le sang, il fait néanmoins frissonner le public dans le brillant Te Deum qui clôt le premier acte, dans lequel l’autorité naturelle de sa voix lui permet de se faire clairement entendre par-dessus les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra. Sa voix fait preuve de beaucoup de relief et saute avec agilité du plus faible chuchotement aux plus retentissants éclats. Laissant le livret et la partition se charger du ressort dramatique, son jeu mesuré contraste avec le reste du plateau.

À l’inverse, Joseph Calleja (Cavaradossi), incapable de sortir la moindre note au-dessus du fa aigu sans un éraillement caverneux digne de Tom Waits, aura rendu les quelques défauts de cette représentation bien dérisoires à côté de sa bien décevante prestation vocale ! Soulignons tout de même le courage du ténor qui n’a pas perdu la face, et nous a gratifié d’une interprétation magnifique dans tout le reste de sa tessiture. Espérons pour lui qu’il recouvre sa voix au plus vite et enchante le public de ses aigus.

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Tosca à l'Opéra national de Paris
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Le reste du plateau est au rendez-vous. Sava Vemić dans le rôle d’Angelotti fait entrer le public dans l’urgence du fugitif auquel il prête sa voix de basse. Il est suivi de près par le Sacristain Renato Girolami, qui démarre sa prestation avec une grande énergie et un sens du comique qui sied à son personnage. La voix sombre du ténor Michael Colvin accentue la sournoiserie du doucereux Spoletta, tandis que celle du baryton Philippe Rouillon est d’un timbre clair, et – reflet du zélé Sciarrone – presque sans âme. Christian Rodrigue Moungoungou dans le rôle du geôlier et le jeune pâtre – malheureusement anonyme – complètent ce convaincant plateau vocal.

Enfin, la direction de Gustavo Dudamel est à la hauteur des espérances : il fait étinceler la fosse de l’opéra et rend audibles nombre de couleurs orchestrales dont regorge la partition de Puccini, quitte à parfois déborder et couvrir la scène.

***11