La rentrée lyrique à l'Opéra National du Capitole de Toulouse offre une nouvelle coproduction qui est également une première au répertoire local : le conte lyrique en trois actes Rusalka, de Jaroslav Kvapil et Antonín Dvořák, haut lieu de l’opéra tchèque. Le cadre esthétique proposé par le metteur en scène Stefano Poda est à la fois raffiné sur le plan visuel et sur le plan conceptuel : rares sont les allusions à la modernité, si ce n’est peut-être le ramassage de bouteilles plastiques par les domestiques du Prince au début du deuxième acte. La mise en scène se concentre en effet sur les traits universels du mythe, en particulier la rigidité des êtres d’essence divine (vêtus de manière primaire car antédiluviens) et l’inconstance des humains (vêtus de manière sophistiquée et voyante).

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Rusalka au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Le décor change peu mais est également pensé dans ce sens : quelques rares évocations d’arbres mais surtout un étang (réel) occupant l’ensemble de la scène pour les ondins ; pour les humains, un sol plus élevé, clairement séparé de l’élément aquatique, et des murs luminescents, oscillant entre le circuit électrique et un style art déco géométrique. La chorégraphie suit la même logique : les danseurs ondins sautillent couchés dans l’eau peu profonde, y créant aussi des empilements de corps évoquant des formes naturelles et des danses archaïsantes. Le ballet de la cour du Prince s'avère quant à lui plus inconstant, figurant des couples se figeant dans différents stades d’une relation « de feu » (par opposition à l'amour froid mais pur de Rusalka), soit autant de tableaux montrant les excès humains, où la passion entraîne perdition et violence.

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Rusalka au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Anita Hartig livre une Rusalka opiniâtre et qui subit de plein fouet ses désillusions. La soprano montre la pleine puissance de sa voix sur les passages épiques et vindicatifs (demandes à Ježibaba à l’acte I, au Prince à l’acte II) alors qu’elle n’hésite pas à détonner (volontairement) pour montrer l’affliction de son personnage (Prière à la lune de l’acte I, renoncement de l’acte III), dans des interventions quasi chantées-parlées. Le ténor Piotr Buszewski incarne un Prince viril et très statique au deuxième acte, pour évoluer ensuite, tout en restant dans la puissance, vers un personnage plus complexe alors qu’il est déjà maudit par son rejet de Rusalka avant d’être englouti par le lac. Il est du reste un homme comme les autres car habillé de la même manière que tous les hommes de son palais.

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Rusalka au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

C’est sans doute la prestation d'Aleksei Isaev qui marque le plus les esprits : le baryton incarnant l’Ondin, père de Rusalka, remplit le théâtre de sa voix chaude et constante tout en chantant immergé jusqu’au cou dans le centre du bassin, puis rampant à plusieurs reprises dans l’eau ! Même leçon pour le trio de nymphes incarnées par Valentina Fedeneva, Louise Foor et Svetlana Lifar qui l’accompagnent dans la trappe-piscine centrale où les danseurs disparaissent et réapparaissent les uns après les autres, plongeons après plongeons. Dans des rôles plus limités, Béatrice Uria-Monzon (la Princesse étrangère, à l’origine de la chute de Rusalka) offre une force vocale totale, chaude et impulsive, tandis que Claire Barnett-Jones en Ježibaba propose une incarnation scénique solide mais est parfois masquée par l’orchestre – la mezzo-soprano émerge toutefois sans problème dans ses moments de colère.

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Rusalka au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Extrêmement soignée, l’opposition des timbres montre un orchestre réglé et une direction pointilleuse de la part de Frank Beermann : les cordes graves et timbales brutes s’opposent à la légèreté des violons, les cors clairs et rugueux relèvent les bourdons, les accords de la harpe (en particulier le leitmotiv introduisant la Prière à la lune) renforcent l’atmosphère intimiste et aquatique du plateau. Ce sont surtout les pizzicati, assez redondants, qui marquent ce soin apporté à l’ensemble instrumental, chaque accord sonnant comme un seul homme. L’orchestre est de surcroît parfaitement synchronisé avec la chorégraphie titanesque proposée sur scène.

Présenter un plateau vocal impeccable, une mise en scène équilibrée et une performance théâtrale et chorégraphique (voire sportive !) dynamique : rares sont les productions lyriques qui combinent ces trois éléments. C’est le cas de la Rusalka de Stefano Poda. L’ouverture de saison est assurément réussie pour le Capitole.

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