Tannhäuser à Lyon : un nouvel épisode de La Guerre des étoiles

- Publié le 31 octobre 2022 à 11:55
David Hermann situe l’action dans dans l'univers de science fiction imaginé par George Lucas, tout en restant fidèle au drame wagnérien. Au pupitre, Daniele Rustioni veille sur un plateau où brillent Stephen Gould et Johanni van Oostrum.
Tannhäuser de Wagner, Opéra national de Lyon

Le premier acte est celui de la version parisienne, mais on ne verra ni Venusberg ni bacchanale :  Tannhäuser est chez les androïdes – chez les gynoïdes, plutôt – et un robot féminin dont on met à nu les rouages occupe toute la scène. Quand il quitte la déesse, il se retrouve dans un décor lunaire que reflète un immense miroir. C’est la planète Tatooine de Star Wars, où David Hermann situe désormais l’action, multipliant des références dont se régaleront les familiers de la série, des jawas facétieux, devenus les pages au deuxième acte, à Palpatine en guise de pape. Lors du concours de chant, le metteur en scène croise assez habilement les clins d’oeil à l’œuvre de Lucas et les références au Moyen-Age revisité par Wagner, si bien que la greffe ne prend pas si mal.

Réconciliation

Il est vrai qu’il reste, au-delà des apparences, assez fidèle à l’histoire. La présence de la bergère gynoïde, en ce deuxième acte, que l’on finit par enchaîner à Tannhäuser, ne fait qu’expliciter son inconscient, encore marqué par le Venusberg. Que les pèlerins ressemblent à des morts vivants, fantômes épuisés surgis d’un autre monde, reste dans l’esprit de l’opéra. Certes David Hermann interprète à sa façon la dialectique du péché et de la rédemption, en réconciliant les deux mondes à la fin : après la prière, Elisabeth descend chez les androïdes, puis remonte avec Vénus, les deux femmes devenant chacune le double de l’autre – une idée que la partition peut suggérer ici ou là. Tannhäuser, lui, disparaît dans la foule, comme si sa mission était accomplie, figure de médiation plus que d’initiation.

On regrettera néanmoins que la production sacrifie parfois la direction d’acteurs, qui pourrait être plus tendue, aux séductions des images et des effets – le premier et le troisième acte, à la différence du deuxième, sont plastiquement très beaux, avec, notamment, ces pétales d’une fleur de lumière s’ouvrant pour le passage entre les deux mondes.

Identification à un rôle torturé

Stephen Gould remplace Simon O’Neill. A soixante ans, le ténor américain assure encore, dès le si difficile premier acte, avec une ligne de chant préservée et, surtout, une identification à un rôle torturé qu’il a fait sien depuis des décennies. L’Elisabeth de Johanni van Oostrum, elle, rayonne de jeunesse, voix longue et homogène, au médium charnu, débordant de bonheur puis de douleur. A la même altitude se situe le mezzo opulent et sensuel d’Irène Roberts, à l’aigu triomphant, au phrasé capiteux, dont la Vénus a parfois les accents tourmentés de Kundry – parfois aussi un vibrato un peu large.

Entre jalousie taraudante et renoncement forcé, Christoph Pohl phrase son Wolfram en Liedersänger à la ligne noblement et sobrement modelée. La ligne, en revanche, manque totalement au Landgrave de Liang Li, somptueuse basse au demeurant. Flatteuse pour Vénus, la version parisienne fait place, à partir du deuxième acte, à celle de Dresde, la seule où Walter et Biterolf existent vraiment : Robert Lewis et Pete Thanapat, jeunes recrues de l’Opéra Studio, y portent très beau.

Le chœur préparé par Benedict Kearns ne s’illustre pas moins, même si des sopranos trahissent ici ou là une certaine instabilité.  D’une fluidité toute latine, Daniele Rustioni rend la « romantische Oper » à ses élans weberiens, conciliant la souplesse et la tension, parvenant surtout à l’équilibre et à l’unité dans une partition souvent tiraillée entre l’opéra de l’époque et celui de l’avenir.

Tannhäuser de Wagner. Opéra de Lyon, le 27 octobre.

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