La Périchole par Pelly, rires haletants au Théâtre des Champs-Elysées
Retransmission radiophonique via France Musique le 31 décembre 2022 à 20h :
Dès le lever de rideau, le rythme (saccadé) est donné : tous les personnages semblent empressés, compressés, dépassés par le tumulte de la vie citadine (pseudo-)péruvienne et par l’urgence d’une intrigue qui avance implacablement vers son dénouement sans qu’il ne soit donné au public le temps de reprendre son souffle. Une énergie appréciable mais qui laisse peu de temps aux émotions, alors que le metteur en scène défend dans ses propos un aspect trouble et ombrageux du livret, qui se reflète dans le décor sombre de Chantal Thomas, entre demi-obscurité de la ville et opacité des miroirs du palais mettant en scène une austérité politique avec ces immenses bannières à l'effigie du tyrannique vice-roi.
De ce fait, les situations sentimentales qui pourraient poindre au-delà du comique ne sont pratiquement pas soulignées. Les airs de Périchole, ô combien émouvants, le désespoir de Piquillo, ou encore le désarroi pathétique du vice-roi cèdent le pas à une succession de sketchs très bien agencés. Leur répétition risque l'impression de déjà vu, mais sont pimentées par des trouvailles particulièrement réjouissantes comme les interventions remarquées des dames de la cour à l’acte II, sorte d'énorme banc de truites argentées et peroxydées aux mimiques d’héritière capricieuse, ou encore, lorsque le vice-roi ordonne à la cour de poursuivre Piquillo, les courtisans incapables ne pouvant que répéter mot pour mot ce que dit le vice-roi (“Sautons dessus ! Sautons dessus !”) sans qu’aucun ne prenne l’initiative.
Laurent Naouri chante Don Andrès de Ribeira de sa voix caverneuse avec des répliques qui font mouche à chaque fois, tant l’acteur est habile et ménage ses effets. La ligne vocale conserve une rondeur et une projection qui lui apportent une autorité seyante. Le legato manque parfois et certaines notes semblent un peu incertaines, mais l’ensemble a l’allure du rôle, sachant tantôt nourrir le ridicule, tantôt construire l’homme meurtri ou pervers.
Antoinette Dennefeld est une Périchole plus en retrait à ses côtés. L’actrice est à l’aise avec son corps et ses gestes, offrant un personnage malin et plein d’initiative, mais la chanteuse offre une ligne de chant peu nuancée (notamment en ce qui concerne les graves sonores dont la partition est pleine, mais aussi un registre aigu plus incisif qui, en ce soir, ne se défait pas d'un vibrato un peu large). Les couleurs du médium sont rondes néanmoins, apportant ce qu’il faut à la légèreté du rôle.
Le Piquillo de Stanislas de Barbeyrac ne correspond en rien en benêt habituellement associé au rôle : il est ici une brute au cœur d'artichaut, tantôt agressif, souvent éploré. Loubard peinant à louvoyer, l'interprète ne semble jamais pouvoir se défaire d’une certaine noblesse qui, lorsqu’il revêt un costume durant l’acte II, semble bien mieux lui correspondre. C’est d’ailleurs dans la jalousie furieuse de ce même acte que le ténor apparaît le plus vraisemblable : d'autant que la voix est toujours séduisante, quoique sombre, et se joue des enjeux d’une partition complexe en s'appuyant sur son métal central et musclé qui offre un son uni sur toute la tessiture (quoiqu'avec des aigus marqués).
Lionel Lhote et Rodolphe Briand, respectivement Don Pedro de Hinoyosa sonore et bien ancré et le Comte Miguel de Panatellas léger mais sans nasalité, avec un chant mixte doux et agréable, apportent à leur duo comique un jeu vif et une complicité qui, bien qu'harmonieuse, fonctionnent parfaitement avec l’accumulation de gags qui leur sont attribués.
Les trois cousines forment un ensemble extrêmement séduisant par leur espièglerie et leur vulgarité éhontée. Les voix sont, elles aussi, lancées avec crânerie. Chloé Briot (Guadalena / Manuelita) possède une couleur claire et un instrument agile, Alix Le Saux (Berginella / Ninetta) une ligne de chant nerveuse aux sonorités un brin nasales, Éléonore Pancrazi (Mastrilla / Brambilla), quant à elle, dévore ses répliques avec un panache que sa voix grave et puissante soutient sans faiblir. À elles trois s’ajoute Natalie Pérez (Frasquinella) pour incarner les courtisanes du palais, et qui donne à entendre un timbre fruité que son jeu comique outré, très réjouissant, n'altère pas.
Mitesh Khatri et Jean-Philippe Fourcade, membres du chœur, assurent les rôles des deux notaires, de leurs voix claires à l'énonciation propre (le premier d'une voix centrée et luisante, le second détimbrant un peu).
Dans la fosse, Marc Minkowski insuffle une énergie très théâtrale, au profit de la matière sonore et de l'élan comique mais au détriment d’un jeu plus souple qui aurait sans doute permis un rapport plus intime aux situations de l’intrigue ainsi qu’aux personnages. Le son de l’Orchestre des Musiciens du Louvre est généreux, les instrumentistes attentifs, apportant un tapis sonore soucieux de ne jamais couvrir le plateau. Le Chœur de l'Opéra National de Bordeaux, enfin, est en grande forme, offrant un son commun perçant et discipliné, une élocution distincte, sachant exprimer avec précision les sentiments de la foule.
Les spectateurs sortent réjouis d’un spectacle où les rires et les applaudissements ont souvent fusé mais sans éclats.