Au Théâtre des Champs-Elysées, une Hérodiade lyonnaise

- Publié le 29 novembre 2022 à 10:31
Hérodiade au Théâtre des Champs-Elysées
Le Théâtre des Champs-Elysées accueillait à Paris une « Hérodiade » de Massenet donnée en version de concert par les forces de l’Opéra de Lyon de Danielle Rustioni, avec une distribution presque parfaite.

Chez Massenet, ce n’est pas Salomé qui finit par obtenir la tête de Jean, mais une Hérodiade consumée par son désir de vengeance. Contre le prophète qui l’outrage, contre l’esclave que son époux Hérode lui préfère. En toute logique, l’opéra créé à La Monnaie en 1881 – mais entré seulement en 1921 au palais Garnier – porte son nom : un péplum en quatre actes, aux chœurs et ensembles hauts en couleur, que le compositeur inscrit dans la lignée du grand opéra français (tout le second tableau du III est d’un relief saisissant). Chaque rôle est pourvu d’airs redoutables sollicitant les extrêmes de la tessiture, ce qui peut expliquer en partie sa disparition des affiches.

Le rôle-titre appelle ainsi un aplomb, un tranchant, un mezzo puissant qui sont dans les moyens d’Ekaterina Semenchuk. Malgré les rides vocales, les mots avalés, et un français très perfectible, le personnage, sulfureux et glacé, est là, avec ses déchirures, jusque dans la révélation finale. Mais la vraie reine de la soirée, c’est la glamoureuse et candide Salomé de Nicole Car. Dès son grand air du I, « Il est doux, il est bon », cette intensité radieuse du timbre, cette souplesse de la ligne, cette sensualité ne peuvent qu’attendrir Jean, qu’elle est prête à suivre jusque dans la mort : un Jean-François Borras idéal de bravoure et de générosité, de lumière – la force tranquille.

Eclats et caresses

Hérode, pour qui ce prophète apparaît d’abord comme un levier pour soulever le peuple contre la domination romaine et servir ses ambitions, verra soudain en lui le rival à abattre. A ce machiavélique tétrarque de Galilée, Etienne Dupuis, apporte son verbe haut et mordant, sa prestance, mais aussi sa caresse vocale, ourlée de saxophone, lorsque parle sa passion pour Salomé. Dans la solitude d’une « Vision fugitive » au II, puis à la faveur d’un duo au III au fil duquel la jeune fille le rabroue. Sorte d’Arkel avant la lettre, Le Phanuel de Nicolas Courjal déploie un grave plein d’autorité, cinglant lorsqu’il révèle à une Hérodiade dévorée par la haine que Salomé, cette esclave honnie qui obsède son époux, est la fille qu’elle abandonna jadis.

Issues du Lyon Opera Studio, quatre voix prometteuses se partagent les rôles plus secondaires, notamment Pawel Trojak, Vitellius d’un noble caractère, et Pete Thanapat, Grand Prêtre au métal déjà impressionnant, tandis que Giulia Scopelliti et Robert Lewis incarnent avec ferveur une servante et un chantre du Temple. Après Werther et Manon, Daniele Rustioni complétait donc un cycle consacré par les forces de l’Opéra de Lyon à Massenet. Saluons avec enthousiasme sa direction nuancée, l’énergie qu’il insuffle aux ensembles, les couleurs orientalisantes très soignées du ballet mais aussi l’excellente préparation du chœur. Le chef disait réfléchir maintenant à Thaïs : croisons les doigts.

Hérodiade de Massenet. Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 25 novembre.

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