Daniele Rustioni à la direction de Hérodiade
Daniele Rustioni © Blandine Soulage

Hérodiade de Jules Massenet triomphe au Théâtre des Champs-Elysées

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L’opéra de Jules Massenet Hérodiade a été créé le 19 décembre 1881 au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Il vient d’être donné le 25 novembre 2022 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, une seule fois, en version concert. Le plateau de solistes s’est révélé solide et homogène.

 

Hérodiade compte parmi les premiers grands succès lyriques de Jules Massenet, quelques années avant qu’il ne triomphe avec Manon, Werther, Thaïs….

Mais le « grand » Massenet est déjà là, tout entier, dans son inventivité mélodique, sa richesse orchestrale et sa puissance lyrique. Le public – nombreux – ne s’y est d’ailleurs pas trompé, lui qui, pour une bonne part, est venu pour entendre in situ, les « grand airs » qui ont fait la renommée du compositeur.

Inspiré d’Hérodias, l’un des Trois Contes de Gustave Flaubert paru quelques années auparavant en 1877, le livret est écrit par Paul Milliet et Henri Grémont.

Il conte la fameuse histoire de Hérodiade, épouse d’Hérode, de Salomé, belle-fille d’Hérode, et de Jean-Baptiste, ici prénommé Jean, prophète et martyr, le tout sur fond de domination romaine.

Quatre lièvres dramatiques à la fois

Pour raconter cette histoire tragique, les librettistes ont voulu courir quatre lièvres dramatiques à la fois, comme le rappelle justement Piotr Kaminski *: tout d’abord la dimension religieuse, avec la présence de Jean et l’annonce d’une nouvelle foi, puis la dimension amoureuse, car Salomé est amoureuse de Jean et voudra périr avec lui. Enfin la dimension politique, celle de la domination romaine, représentée dans l’ouvrage par le personnage de Vitellius. Sans oublier la dimension familiale avec les déchirures surgies entre Hérode, son épouse Hérodiade et Salomé…

Il résulte de ce drame antique un sentiment d’inabouti qui se focalise, notamment dans le quatrième et dernier acte, sur les déchirements amoureux de Salomé, après avoir laissé en route les autres sujets du drame.

Plus d’unité dans la dramaturgie aurait sans aucun doute accordé plus de poids et de cohérence à l’ouvrage qui permet toutefois à Jules Massenet de développer toute sa science orchestrale.

Déluge de musique

C’est cette science – et la poésie qui l’anime – qui s’exprime dès l’Introduction, avec ses cordes frémissantes et presque fragiles, prélude à un déluge de musique, parfois littéralement tellurique. Baignée de tournures orientalistes, la musique s’empare de chacun des personnages qui se précipitent tous au devant de leur destin tragique.

Hérodiade de Massenet
Hérodiade de Massenet
© M. Portehaut

Non exempte d’une certaine emphase, la musique que tisse Massenet sur ce drame rappelle par certains de ses aspects le « Grand Opéra français » et ses codes abondamment illustrés au début du siècle par la puissance orchestrale, les mouvements de foules, les tableaux animés et pittoresques, et bien sûr, les grands air de solistes virtuoses… Mais c’est aussi – et c’est tout le génie de Massenet – une musique qui fourmille de pianississimi surprenants, de ruptures imprévisibles, du recours délicat et lui aussi surprenant au saxophone solo.

Pour cette représentation, le plateau de solistes – s’il n’exclut pas quelques disparités – s’est révélé solide et homogène dans cette aventure vocale tonitruante.

Un trio vocal de haute volée se détache, mis en lumière par une partition difficile, mais qui le valorise.

Une projection infaillible

D’abord Hérode, magistralement interprété par le baryton Etienne Dupuis : beauté du timbre, projection infaillible, puissance vocale, il triomphe notamment dans le grand air « Vision fugitive… » La soprano Nicole Car, dans le rôle de Salomé, dotée de très beaux aigus, (qui auraient sans doute mérités un peu plus de rondeur) mais qui affiche une émouvante présence dramatique. Enfin un Jean tenu avec panache et sensibilité par le ténor Jean-François Borras.

Ne seront pas oubliés le superbe Phanuel de la basse Nicolas Courjal au timbre lumineux et profond, et le Vitellius du solide baryton Pawel Trojack.

C’est le rôle titre – tenu parfois un peu laborieusement… – par la mezzo soprano Ekaterina Semenchuk qui déçoit avec un réel problème de diction, surtout dans la première partie (Acte I et II), mais dont la présence dramatique assure le succès de l’ensemble.

Placé sous la direction élégante, précise et raffinée de Daniele Rustioni, le Chœur (magnifiques interventions a capella des pupitres femmes et hommes, distinctement !) et l’orchestre de l’Opéra de Lyon répondent présents et assurent le succès de cette soirée.

Peut-être que l’Orchestre, emporté par une partition qui lui fait la part belle, et par une direction qui ne dissimule pas son enthousiasme pour un ouvrage qu’il apprécie, joue-t-il parfois un peu trop fort au risque de couvrir certaines voix.

Mais il est vrai aussi que la musique qui donne parfois l’impression d’être « surexposée » est supposée être jouée dans la fosse et non sur le plateau.

A ce propos, à quand une version scénique d’Hérodiade ?!

 

* « Mille et un opéras » (Fayard 2003)

 

Théâtre des Champs Elysées

Coproduction Théâtre des Champs Elysées, Opéra de Lyon, Palazzeto Bru Zane. 

Vendredi 25 novembre 2022

« Hérodiade »

Opéra en quatre actes et sept tableaux de Jules Massenet (1881)

Livret de Paul Milliet et Henri Grémont d’après « Hérodias » de Gustave Flaubert

Direction musicale: Daniele Rustioni

Ekaterina Semenchuk (« Hérodiade »)

Nicole Car (« Salomé »)

Jean-François Borras (« Jean »)

Etienne Dupuis (« Hérode »)

Nicolas Courjal (« Phanuel »)

Pawel Trojak (« Vitellius »)

Pete Thanapat (« Le Grand Prêtre »)

Robert Lewis (« Une voix dans le Temple »)

Giulia Scopelliti (« Une jeune babylonienne »)

Chœur et Orchestre de l’Opéra de Lyon

 

Les années au Barreau, où il a été notamment actif dans le domaine des droits de l'homme, ne l'ont pas écarté de la musique, sa vraie passion. Cette même passion le conduit depuis une quinzaine d'années à assurer l'animation de deux émissions entièrement dédiées à l’actualité de la vie musicale sur Fréquence Protestante.

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