A Toulouse, La Bohème magnifiée

- Publié le 5 décembre 2022 à 11:09
Le spectacle de Barbe & Doucet révèle un artisanat théâtral de première force, la direction musicale de Lorenzo Passerini fait miroiter tous les joyaux de l’orchestration, le plateau, dominé par Vannina Santoni et Liparit Avetisyan, est d’une cohésion exemplaire : c’est déjà Noël au Capitole !
La Bohème de Puccini

A Toulouse, André Barbe et Renaud Doucet (duo de metteurs en scène qui signe aussi décors et costumes) n’envoient pas La Bohème sur la lune, mais préfèrent situer le chef-d’œuvre de Puccini au cœur du Paris populaire dont il est indissociable. Le lieu choisi, précisément, est un marché aux puces, à notre époque, fréquenté par des touristes asiatiques qui se prennent en photo, et où Musetta joue les chanteuses de rue (accompagnée par l’accordéon funambule de Michel Glasko). Une jeune femme visiblement souffrante paraît : c’est Mimi, à qui un brocanteur, sur un gramophone, fait entendre un vieil enregistrement de La Bohème. La protagoniste imagine les situations, l’opéra peut commencer – dans les années 1920, cette fois.

Pas sûr que cet aller-retour temporel soit décisif dans la réussite du spectacle. Il a en tout cas moins de prix qu’une science aguerrie du mouvement, y compris dans les scènes de foule (c’est carnaval au Quartier latin !), une intelligence aiguë pour peindre les caractères et les situations, un art consommé de varier les atmosphères, malgré le décor unique qui, par son réalisme poétique, évoque les films de Marcel Carné. Aucune idée ni aucun geste ne pèse, tout coule de source ; mais derrière l’apparente simplicité de cette beauté triste, se devine, en réalité, un artisanat théâtral de première force ne laissant aucun détail au hasard. Jusqu’à l’image finale, qui avec rien (littéralement), traduit l’absence de l’être cher en une fulgurance qui serre la gorge.

Couple rayonnant de jeunesse

Comble de bonheur, la distribution est d’une cohésion exemplaire, à très haut niveau. Au sommet, le Rodolfo de Liparit Avetisyan, bien que son volume ne soit pas immense, fait briller les savoureuses séductions d’un petit grain vibratile, plié à la discipline d’un chant de haute école, tout en nuances et messa di voce. Victoire partagée avec la Mimi de Vannina Santoni qui, même si l’on peut rêver chez Puccini timbre plus pulpeux, montre avec son partenaire beaucoup de qualités communes : justesse de la ligne et du sentiment, délicatesse dans les phrasés, aigu facile, netteté des mots.

Autour de ce couple rayonnant de jeunesse gravite une impeccable galaxie de comprimari, d’où se détache, par le gable et la vivacité, le Marcello de Mikhail Timoshenko. Marie Perbost fait tourner la valse de Musetta avec une une agilité imparable et une bonne dose d’abattage – mais aussi, à la fin, des trésors de douceur compatissante. Julien Véronèse (Colline) dit adieu à son pardessus avec ce qu’il faut de larmes rentrées. En quelques répliques bien senties, Edwin Fardini (Schaunard) et Matteo Peirone (à la fois Benoît et Alcindoro) tirent leur épingle du jeu.

Dans cette salle dont l’acoustique flatte il est vrai beaucoup la fosse, l’Orchestre du Capitole semble parfois menacer de couvrir le plateau. Mais à part ce léger défaut d’équilibre, la lecture de Lorenzo Passerini est celle d’un authentique chef de théâtre, avec du nerf pour l’animation, de la souplesse pour respirer avec les chanteurs, des couleurs en veux-tu en voilà, une précision dans le geste qui fait miroiter tous les joyaux de l’orchestration. Paré de tels atours, le chef-d’œuvre palpite, on rit et l’on pleure au destin de la pauvre cousette : merci !

La Bohème de Puccini. Toulouse, théâtre du Capitole, le 2 décembre. Représentations jusqu’au 6 décembre.

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