La Petite Boutique des Horreurs : Favart a la main verte au rayon « musical »

- Publié le 12 décembre 2022 à 11:29
Au pupitre d’un Balcon adaptable, Maxime Pascal dirige une comédie musicale très pop, plus facétieuse que gore. A voir dès 12 ans à l’Opéra Comique, puis à Dijon en avril.
La Petite Boutique des horreurs

Maxime Pascal a le chic pour emprunter des chemins artistiques de traverse, au gré de ses dilections éclectiques. Entre la poursuite du cycle Licht de Stockhausen (Freitag à Lille et à la Philharmonie) et L’Opéra de quat’sous de Brecht et Weill annoncé au prochain Festival d’Aix avec la troupe de la Comédie-Française, le chef du collectif Le Balcon revisite une comédie musicale américaine du début des années 1980. La Petite Boutique des Horreurs (The Little Shop of Horrors) est d’abord un film de série B tourné en quelques jours, pour une poignée de dollars, par Roger Corman en 1960. C’est l’histoire d’un magasin de fleurs moribond qui va retrouver une clientèle grâce à la découverte du vendeur Seymour : une plante carnivore qui ne se nourrit que de sang humain et, en grandissant, se montre tellement gourmande que l’affaire tourne au carnage… Howard Ashman (paroles et livret) et Alan Menken (musique), futurs piliers des studios Disney, en tirent en 1982 un musical qui deviendra l’un des plus grands succès du « off Broadway », et retrouvera le grand écran dans une réalisation de Frank Oz en 1986.

Big band et cordes additionnelles

Salle Favart, La Petite Boutique arrive naturellement dans une adaptation française – celle signée par Alain Marcel pour le Déjazet puis le Théâtre de la Porte Saint-Martin en 1986. On ne dira pas que les lyrics ainsi traduits constituent le clou du spectacle… Mais on appréciera les talents d’arrangeur d’Arthur Lavandier signant une nouvelle orchestration qui se déploie dans la fosse de l’Opéra Comique. L’effectif instrumental prévu par Menken a été augmenté d’un big band et de pupitres de cordes, étoffant et colorant ce cocktail de styles américains (gospel, soul, pop, rock, rhythm and blues, country… avec quelques échos de musique juive) sans nuire à la tension électrique et percussive de l’ensemble. Maxime Pascal y dirige son Balcon comme il le ferait dans n’importe quelle œuvre « savante », avec le mélange d’énergie échevelée et de préparation minutieuse qui a fait sa renommée.

Chanteurs de formation lyrique

Le plateau sert sa haute idée de la partition, autour de chanteurs de formation lyrique et amis de la muse légère. Marc Mauillon prête ses qualités de fabuleux diseur au timide Seymour, tendrement amoureux de sa collègue Audrey – Judith Fa, remarquable en nymphette au cœur pur. Moins rayonnant vocalement parlant, Lionel Peintre n’en reste pas moins un excellent comédien, ajusté dans le rôle du vieux fleuriste désabusé (Mr. Mushnik), quand Damien Bigourdan caractérise fort bien son emploi de dentiste psychopathe à dégaine et banane de rockeur (Orin Scrivello). Menken a aussi conçu un petit chœur féminin « à l’antique » dans l’esthétique musicale « Motown » des Supremes de Diana Ross, défi que relève le trio enjoué formé par les artistes de variétés Sofia Mountassir, Laura Nanou et Anissa Brahmi. N’oublions pas « la » voix : celle d’Audrey II, la plante vorace, que le doubleur de métier Daniel Njo Lobé module avec espièglerie, en se calant sur les mouvements du marionnettiste actionnant la bête.

Créativité scénique facétieuse

Ce gentil monstre reflète la fantaisie qui irrigue le spectacle de Valérie Lesort et Christian Hecq, dont l’imagination avait déjà frappé in loco dans Le Domino noir d’Auber (2018) puis Ercole amante de Cavalli (2019). Le couple de metteurs en scène compense les ressources limitées de l’intrigue par sa créativité facétieuse, qui par exemple offre une moto miniature comme destrier à l’affreux dentiste puis éviscère Audrey en une illusion optique. Mais pas de panique ! Ce spectacle pour les fêtes, moins gore que familial, est à voir dès 12 ans. Le trio Pascal-Lesort-Hecq parviendrait presque à faire passer une œuvrette pour un chef-d’œuvre du second XXe siècle… et Favart pour un nouveau Châtelet.

La Petite Boutique des Horreurs de Menken. Paris, Opéra Comique, le 10 décembre. Représentations jusqu’au 25 décembre salle Favart, puis les 5 et 6 avril à l’Opéra de Dijon.

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