Une première version française signée Alain Marcel, en 1986 au Théâtre Déjazet, n’avait pas marqué les esprits, la faute sans doute à une mise en scène peu imaginative. Trente-six ans après, revoici dans la langue de Molière La Petite Boutique des horreurs, adaptation de la comédie musicale new-yorkaise conçue en 1982 par Howard Ashman (texte) et Alan Menken (musique), ouvrage connu surtout dans l’Hexagone grâce au film loufoque qui en a été tiré peu après, dans une réalisation du marionnettiste Frank Oz.

Loading image...
La Petite Boutique des horreurs à l'Opéra Comique
© Stefan Brion

Cette fois-ci, il y a fort à parier que La Petite Boutique ne fera pas faillite de sitôt. En coproduction avec l’Opéra de Dijon, l’Opéra Comique a eu la bonne idée de confier les ficelles de cette comédie musicale à d’autres amis des marionnettes bien connus salle Favart pour leur fantaisie débridée et leurs trouvailles désopilantes : Christian Hecq et Valérie Lesort. Après les succès du Domino noir et d’Ercole Amante, le duo trouve un terrain d’expérimentation plus naturel encore pour exprimer son art : quoi de plus propice aux effets spéciaux scéniques que cette histoire simple et efficace de plante carnivore qui, de la taille initiale d’un inoffensif géranium, se transforme progressivement en saleté vorace de plus de trois mètres de haut, à l’appétit incontrôlable ?

Loading image...
Marc Mauillon (Seymour)
© Stefan Brion

Tout le talent du tandem Hecq-Lesort est alors de parvenir non seulement à animer cette plante qu’on croirait sortie d’un bestiaire de Franquin, à la faire s’affaisser, se redresser voire danser, mais également à donner l’illusion que cette créature aussi drôle qu’ignoble est vivante, capable de gagner quelques centimètres en direct pour répondre aux injonctions de son maître (le numéro « Pousse pour moi ») ou de se contorsionner pour gober les imprudents qui passeraient à portée de sa mâchoire. Pour ménager les nombreux (et réjouissants) effets de surprise de la production, on n’en dira pas davantage… si ce n’est que l’illusion est parfaite ! On écarquille les yeux, on se pince – et une fois de retour chez soi, on en viendrait à se méfier de ses plantes vertes.

Mais on aurait tort de résumer la mise en scène à la verdure : pendant toute la durée de l’ouvrage, Hecq et Lesort multiplient les trouvailles pour animer les numéros les plus statiques, organisant ici une féérie électroménagère, là un ballet téléphonique, là encore un amusant numéro de transformiste, parsemant le tout de fleurs dansantes ou d’un galop de rats, dans un décor unique parfait pour transporter le spectateur dans l’Amérique des années 1960.

Loading image...
Judith Fa (Audrey) et Marc Mauillon (Seymour)
© Stefan Brion

Autour de cette petite boutique aux allures de gas station, la distribution paraît incroyablement à son aise pour une première qui associe des spécialistes du musical à des artistes lyriques. Dans le rôle de Seymour, héros féru de botanique miteux mais sympathique qui devient progressivement esclave de sa plante, Marc Mauillon est épatant, se déhanche comme un habitué de Broadway, entonne la chansonnette avec la clarté vocale qu’on lui connaît et un sens du groove impeccable. Dans son personnage de potiche attachante amourachée du fleuriste, Judith Fa excelle pareillement et se distingue dans la chanson « Au cœur du vert » qui ravira les disneyphiles. Si Lionel Peintre campe une figure paternelle-patronale un peu en retrait, Damien Bigourdan crève l’écran en dentiste-rock-star sadique et impressionne ensuite dans son numéro de transformiste. Mais à vrai dire toute la distribution mérite d’être saluée, de Daniel Njo Lobé (qui incarne vocalement une Plante très à son aise dans le style doo-wap) à l’excellent chœur soul/gospel des trois Parques naturelles qui achève de nous donner l’illusion d’un voyage outre-Atlantique.

Loading image...
Damien Bigourdan (Orin Scrivello)
© Stefan Brion

À l’initiative de ce projet audacieux et fort bien mené dans tous ses aspects, Maxime Pascal fait merveille dans la fosse avec son ensemble Le Balcon, qu’on découvre aussi formidable dans ce répertoire que chez Stockhausen. La musique d’Alan Menken, déjà particulièrement riche dans sa version originale (échos de tango, de musique klezmer…) bénéficie de l’orchestration habile d’Arthur Lavandier qui ajoute de nombreuses couleurs instrumentales à cette comédie musicale 100% verte. Bref : réservez votre billet d’urgence sans attendre d’éventuelles soldes, car cette Petite Boutique vend du rêve !

*****