Une «Maria Stuarda» très picturale au Grand Théâtre

Les différents tableaux du spectacle soulignent les contrastes entre le protocole de la cour et les émois houleux des personnages, (monika rittershaus) Une «Maria Stuarda» très picturale au Grand Théâtre JULIAN SYKES OPÉRA La metteuse en scène française Mariame Clément signe à Genève un spectacle aux tableaux plaisants éclairant le drame intime à l'œuvre chez Donizetti. La distribution vocale est inégale, et la direction d'orchestre un peu trop sage Distribuer le bel canto du premier romantisme relève aujourd’hui de la gageure, tellement il manque de voix idoines pour servir ce répertoire. Il faut à la fois du coffre vocal et une prodigieuse agilité pour réaliser les colorature aériennes et ornements, deux qualités qui ne sont pas facilement conciliables. Disons-le d’emblée: ni Eisa Dreisig (Elisabetta) ni Stéphanie d’Oustrac (Maria Stuarda) n’ont la typologie de voix attendue, mais c’est la première qui s’en tire le mieux par la tenue vocale et la constante justesse au fil des airs. Tiraillements amoureux Deuxième volet de la trilogie des Tudor, Maria Stuarda est un magnifique ouvrage qui voit sur scène la confrontation de deux reines rivales également cousines: Elisabeth I, reine d’Angleterre, et Marie Stuart, reine d’Ecosse.

L’enjeu de l’opéra est résumé dans la première image du spectacle que signe Mariame Clément, dans un dispositif scénique comparable à celui d’Anna Bolena, premier volet de la trilogie donné en novembre 2021. Tout en livrant le fond politique de l’histoire, Mariame Clément se concentre sur les tiraillements amoureux et les arrière-plans psychanalytiques - avec la présence d’Elisabeth enjeune fille et un petit garçon qui serait le fruit d’une liaison illégitime entre Maria Stuarda et Leicester - ou un autre amant. Sitôt le Prélude entonné par l’orchestre dans la fosse, le rideau s’ouvre un court moment pour nous montrer un tableau du plus bel effet. Sa composition rappelle les grands maîtres de la peinture flamande et allemande. On y voit Maria Stuarda, agenouillée et soumise, s’apprêtant à recevoir un coup de hache sur la tête.

Dans un splendide jeu d’ombres et de lumière, la composition de l’image suggère la décapitation à l’œuvre avec, côté cour, Elisabeth, l’air grave, prise de remords, engoncée dans un costume ouvragé de 1ère élisabéthaine. Dans un splendide jeu d’ombres et de lumière, la composition de l’image suggère la décapitation Mariame Clément a l’œil pour ces scènes rehaussant le caractère conflictuel de la relation d’Elisabetta à Maria Stuarda. Son spectacle se déroule à la manière d’une série de tableaux évoluant entre sphère privée et sphère publique. On y voit le protocole très codifié de la cour d’Angleterre, contrastant avec les émois houleux chahutant les personnages. On y voit aussi le jeu des influences, personnifié par ce bellâtre de Leicester tiraillé entre son désir de plaire à la reine Elisabeth et celui de sauver Maria Stuarda dont il plaide la cause auprès de celle-ci.

L’empressement de Leicester à sauver Marie Stuart produit l’effet inverse: en proie à une jalousie croissante, stimulée par le vil lord Cecil, Elisabetta en vient à signer le décret de la décapitation. Les éclairages ingénieux jouent un rôle crucial dans cette mise en scène aux décors très plaisants. Ils rythment les tableaux - au gré des humeurs des personnages - et leur confèrent une coloration émotionnelle. On pourra être rebuté par la «vulgarité» des rapports entre Leicester et Elisabetta, mais c’est bien vu de montrer les liens de domination-soumission entre la reine et son comte adoré. Au début, Elisabetta est clairement sous l’emprise de Leicester, mais les rapports vont s’inverser.

La scène au 3e acte, hélas, manque de doigté. Une femme libre et sensuelle Si la direction d’acteur éclaire bien les déchirements intérieurs des personnages, on regrette l’idée de portraiturer Maria Stuart en icône sacrificielle à la fin de l’opéra - cela coïncidant avec l’irruption inopinée de deux cameramen sur le plateau ! Avouons que le procédé est hypercliché et casse la dramaturgie scénique ancrée dans le XVIe siècle. Mariame Clément est plus habile à suggérer le portrait d’une Marie Stuart en femme libre et sensuelle, communiant avec la nature, en dépit de son emprisonnement. Eisa Dreisig - à la voix de soprano claire domine la distribution par la conduite de la ligne vocale et l’assurance de ses aigus jamais criés. Stéphanie d’Oustrac traverse l’opéra avec plus de difficultés: elle est à son meilleur dans le registre médium, un peu gênée aux entournures pour produire des vocalises, le tissu vocal parfois carrément déteint dans les aigus.

La mezzo française s’appuie sur les grandes scènes comme son ultime confession avant la mise à mort pour donner toute sa dimension à Maria Stuart. Fougueux, très animé sur scène, Eduardo Rocha (Leicester) a tendance à serrer les aigus. Simone Del Savio est un Cecil à l’aplomb sûr et la basse Nicola Ulivieri signe un très bon Talbot. Le chef Andrea Sanguineti joue globalement la prudence dans la fosse, sans doute par crainte de couvrir les voix. Les chœurs du Grand Théâtre sont excellents, et contribuent à la beauté musicale de la scène finale, b Maria Stuarda, au Grand Théâtre, Genève, jusqu'au 29 décembre 2022.

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