L’Opéra de Lyon avait eu l’excellente et originale idée de programmer pour les fêtes de fin d’année la comic operetta de Leonard Bernstein Candide, d’après l’œuvre de Voltaire, et on se réjouissait à l’avance de l’imagination et de la fantaisie d’un spectacle pouvant illustrer la folle intrigue aux nombreux épisodes et rebondissements. Malheureusement, rien ou presque de tout cela dans la mise en scène de Daniel Fish, sur un plateau complètement nu qui aligne une rangée de chaises où viennent s’asseoir les choristes, comme pour une représentation de concert mise en espace. L’élément principal de la scénographie est une grosse barre lumineuse au sol qui balaie – rarement – la scène transversalement, et peut – heureusement – changer de couleur (rose, par exemple, quand l’optimisme de la pièce est évoqué) ou d’intensité. Une grande sphère en plastique transparent, garée d’abord au fond, vient faire un petit tour sur scène au second acte – est-elle une mappemonde pour évoquer les voyages de Candide ou encore l’universalité du propos ? Deux séances de jets de mousse verticaux nous laissent aussi espérer un décollage de la comédie, mais elles tournent court.

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Candide à l'Opéra de Lyon
© Bertrand Stofleth

L’auditeur ne connaissant pas l’œuvre peut par ailleurs s’égarer en route, la version retenue par la production (celle de 1989) présentant des textes de transition largement réduits. Dits par le narrateur au micro, ils ne présentent absolument pas les scènes successives mais s’en tiennent à de vastes et vagues considérations philosophiques en une ou deux phrases. On admet volontiers la difficulté d’illustrer in extenso les aventures de Candide, entre ses points de départ et de retour en Westphalie, en passant par Lisbonne, Paris, Buenos Aires, l’Eldorado, Venise, mais l’appui de la vidéo aurait pu par exemple être d’une aide précieuse… Des danseurs et danseuses effectuent parallèlement des mouvements chorégraphiés par Annie-B Parson. Ils marchent, échangent leurs habits, tournent autour des solistes, rampent… Et feront – injustement car ils n’en portent pas la responsabilité – l’objet de huées de la part de quelques spectateurs aux saluts.

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Candide à l'Opéra de Lyon
© Bertrand Stofleth

Cette représentation fait un peu figure de rendez-vous manqué, l’image jurant trop régulièrement avec le son. Le chef Wayne Marshall assure en effet une direction enthousiasmante de la musique composée par le génial Lenny, disposant d’un orchestre de l’Opéra de Lyon en excellente forme. La partition relève d’une grande difficulté, en particulier pour ses nombreux changements voire ruptures de rythme, sa virtuosité également (les bois dès l’ouverture). Les chœurs préparés par Benedict Kearns sont bien chantants et font preuve d’une belle cohérence d’ensemble. Ils apparaissent en scène en tenue de ville, et sont légèrement mobilisés théâtralement pour déplacer leur chaise ou s’allonger à terre.

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Candide à l'Opéra de Lyon
© Bertrand Stofleth

Également en habits de tous les jours, les solistes sont parfois handicapés acoustiquement par l’absence de décors, le son partant moins puissamment que d’ordinaire vers la salle. La distribution vocale n’en atteint pas moins le très bon niveau, avec en tête le ténor Paul Appleby qui compose un délicat Candide, à la claire articulation du texte et qui fait passer l’émotion dans plusieurs de ses airs, avec une longue tenue sur le souffle de certaines notes. Sharleen Joynt en Cunégonde est une formidable découverte, qui paraît disposer de deux voix : dans le grave, la couleur et l’intonation sont typiques du musical américain, alors que son registre aigu est celui d’une pure soprano colorature, d’une extrême agilité et aux suraigus faciles. Son air redoutable « Glitter and be gay » relève d’un vrai feu d’artifice vocal, déclenchant, presqu’à la fin du premier acte donc, les applaudissements du public.

Le baryton-basse Derek Welton ne démérite pas en Pangloss, mais on peut le trouver un peu trop raide et sérieux pour ce personnage. La mezzo Tichina Vaughn en Vieille Dame possède un timbre riche, chaleureux, de grande ampleur dans le grave. Autres partenaires de choix, les splendides barytons Paweł Trojak (Martin et autres petits rôles) et Sean Michael Plumb (Maximilien), ainsi que le vigoureux ténor Peter Hoare (Gouverneur, Vanderdendur, Ragotski), Thandiswa Mpongwana complétant la distribution dans le rôle peu sollicité de Paquette. Les oreilles sont à la fête ce soir… les yeux beaucoup moins !


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra de Lyon.

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