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Tristan et Isolde à l’Opéra Bastille – Le difficile élixir wagnérien – Compte-rendu

 

On ne reviendra pas sur la mise en scène des deux compères Sellars et Viola, qui choque moins qu’à la création parisienne en 2005, et a même pris une certaine grâce d’antique, avec son style un peu baba cool bercé par des rites purificatoires d’initiation par les éléments et de fantomatiques montées vers un infini un rien psychédélique. Réflexion qui ne vaut évidemment que si l’on a goûté à la force des représentations que dirigèrent sous cette forme, les Salonen, Gergiev et Jordan – lequel s’y révéla grand wagnérien. Et on a le droit d’être dérouté par ces visions mouvantes d’une image vidéo contraignante, et souvent belle, mais qui laisse les acteurs du drame dans l’ombre, comme momifiés, Des protestations véhémentes entendues dans le public qui découvrait ont montré que le parti-pris ne séduisait pas forcément.
 

© Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Là où l’impatience était grande, c’était pour la fosse, et son directeur Gustamo Dudamel, dont on ignorait la veine wagnérienne. Et ce furent eux qui furent les vraies vedettes du spectacle, car, on ne l’ignore pas, lorsque l’Orchestre de l’Opéra de Paris a décidé d’être bon, il est excellent ! Quant à Dudamel, dont on sait que la tendresse n’est pas la caractéristique majeure, on a pu apprécier la dynamique puissante avec laquelle il a sorti l’œuvre de ses extases parfois un peu appuyées, Wagner prenant bien son temps pour déployer ce qu’il appelle ses transitions. Prélude prenant et déjà vigoureux donc, mais intensément expressif, par la force avec laquelle les éléments du drame prenaient déjà leur place. Excellente battue pour les hurlements d’Isolde au 1er acte et la violence des empoignades qui précédent l’entrée en scène du philtre, leitmotive psychologique des deux autres actes.
 
Puis le charme s’est peu à peu dissous, le gigantesque duo des amants au 2acte manquant de cette envoûtante fluidité qui se précipite en transe, et la tirade du roi Marke n’apportant pas son contrepoint dramatique à la sécheresse de la retombée sur terre après l’envol amoureux des héros. Mais là, on a pu se apprécier le talent du chef, qui habilement, avec une douceur inhabituelle, aidait la basse Eric Owens, sans grandeur ni puissance, à affronter ses affres. Tout comme il a su suivre un Tristan faiblissant dès la fin du duo, pour couvrir ensuite ses écarts dans sa longue mort du 3acte, avec au contraire l’énormité brutale d’un orchestre bien utile. Une menée intelligente donc, mais manquant de ce miroitement, de ce frémissement désolé qui rend Tristan déchirant. Et la fameuse petite mélodie du 3acte n’y suffisait pas.
 

© Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Monstrueuses sont les voix requises pour cette œuvre hors normes, à commencer par celle d’Isolde, où tant de cantatrices célèbres brûlèrent la leur. Ancienne pensionnaire de ce qui se nommait alors Atelier lyrique de l’Opéra, l’Américaine Mary Elisabeth Williams (photo) s’en tire avec les honneurs, même si une certaine baisse de niveau a gâché sa mort. Son timbre n’est certes pas inoubliable mais vaillance et engagement scénique sont sa marque, et son premier acte l’a montrée en furie convaincante, telle l’Ortrud de Lohengrin, bras levés dans une perpétuelle imprécation. Il faut dire, que dans cette mise en scène coincée par un parti-pris d’anti-théâtre et sans la savante graphie d’un Bob Wilson, elle est la seule à pouvoir témoigner d’un certaine expression dramatique, alors que par exemple la venue du roi Marke, assis aux côtés du couple surpris en flagrant délit, a l’air d’un thé de cinq heures.
Il faut dire qu’Eric Owens n’a pas la carrure du rôle, difficile et peu séduisant on le sait, tandis que Kurwenal, littéralement figé puisque Sellars le bloque dans un carré, trouve avec le formidable Ryan Speedo Green, un moyen de pallier les contraintes de la mise en scène. Le Tristan du Suédois Michael Weinius, lui, ne manque pas d’un certain charme dans son timbre, malheureusement trop vite dilué dans les fatigues d’une voix dépassée par l’enjeu, alors qu’il incarne fréquemment le rôle. Accident de parcours, on l’espère. Enfin, on a été déçu, malgré sa solidité, par le peu de velouté et de chaleur d’une Brangaine plus Walkyrie que servante tendre, celle de Okka von der Damerau, sans faille certes, mais dont l’appel dans la forêt ne distille aucune magie.
 

© Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Le public wagnérien, qui n’est généralement pas composé que de touristes curieux, ne s’est pas mépris sur les faiblesses du spectacle, réservant un bel accueil à Dudamel, très aimé, quelques sifflets pour Isolde et le metteur en scène, alors que Tristan passait miraculeusement entre les gouttes malgré ses failles – l’amateur lyrique a parfois des bontés – et qu’un accueil triomphal a salué le Kurwenal de Ryan Speedo Green , qui n’est pourtant pas l’enjeu majeur de l’opéra. Preuve qu’il y a encore quelque oreille et quelque culture ...
 
Jacqueline Thuilleux
 

Wagner : Tristan et Isolde – Paris, Opéra Bastille, 17 janvier, prochaines représentations, les 20, 23, 26, 29 janvier, 1 & 4 février 2023 // bit.ly/3QQ8TLq

 
Photo © Elisa Haberer / Opéra national de Paris

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