Du sang, du sang, beaucoup de sang ! À l’entrée en scène de Gurnemanz, on pense plutôt reconnaître Amfortas et sa blessure inguérissable, tant le premier souffre dans ses habits maculés de sang. Gurnemanz est ici un homme très handicapé dans ses déplacements, tremblant de tout son corps et qui tomberait à la moindre occasion s’il ne s’aidait de ses béquilles. Mais il n’a pas le monopole du sang dans la nouvelle production de Michael Thalheimer au Grand Théâtre de Genève : tous les chevaliers et écuyers sanguinolents barbouillent également d’hémoglobine les parois des décors conçus par Henrik Ahr, constitués principalement de hauts caissons en deux niveaux qui forment les murs de Montsalvat, le château du Graal, puis de celui de Klingsor, ainsi que d’une tournette, curieusement peu utilisée durant les actes I et III. Au-delà du rapport évident avec la plaie d’Amfortas, qui suinte et ne se referme pas, Thalheimer justifie sa mise en scène en avançant dans le programme de salle que toute la confrérie des chevaliers est marquée par la « blessure ».

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Parsifal au Grand Théâtre de Genève
© Carole Parodi

On arrive cependant rapidement à une saturation qui nous donne l’impression soit d’une visite dans un hôpital pour grands blessés de guerre, soit d’un mauvais film de zombies à la vue des mouvements saccadés des éclopés. Mais ce bain de sang du premier acte n’empêche heureusement pas l’émotion de s’installer pour la cérémonie du Graal, quand Parsifal et Gurnemanz viennent s’asseoir au bord de la fosse d’orchestre face au public, après maintes douloureuses contorsions pour ce dernier. Pas de cygne tué par Parsifal ce soir, ni de Graal, sinon un halo de lumière au centre du plateau.

L’acte II est moins rouge vif et plus classique : Klingsor en habits de hippie des années 1970 se montre à contre-jour dans l’embrasure étroite entre les deux parois du fond, les six Filles-fleurs portent des difformités corporelles sous leur robes brillantes et leurs consœurs à l’étage sont habillées de robes à fleurs. Parsifal récupère bien la Sainte Lance, mais Kundry tue finalement Klingsor de plusieurs coups de pistolet. Retour au sang pour l’acte final, où c’est Kundry qui assure l’animation sur scène après ses derniers mots « Dienen, dienen » : elle s’affaire en effet en peignant au sang des mots (« Durch Mitleid wissend », « der reine Tor », « Parsifal »), les effaçant, barbouillant par-dessus… et passe un rapide coup de peinture rouge sur les pieds de Parsifal pour les laver.

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Parsifal au Grand Théâtre de Genève
© Carole Parodi

La distribution vocale réunie est solide : en tête, Daniel Johansson ne fait pas entendre un Parsifal surpuissant mais la voix est assez homogène en qualité sur son étendue. Il faut dire que son accoutrement, en maillot de corps et caleçons longs, évoque davantage le « chaste fol » du début du livret que le guérisseur et sauveur de la suite. Tareq Nazmi est quant à lui absolument formidable dans le rôle-marathon de Gurnemanz : outre la performance physique de chanter plié en deux pendant toute la représentation, la voix est puissante et richement timbrée, tout particulièrement dans la partie centrale de sa tessiture. L’Amfortas de Christopher Maltman montre quant à lui de l’énergie dans les interventions de sa superbe voix de baryton.

Moins puissant intrinsèquement, l’autre baryton Martin Gantner en Klingsor projette toutefois vigoureusement, aidé par les surfaces des décors. Le personnage de Kundry contraste fortement sur le plan visuel, se présentant en costume noir ou rouge et chaussures à talons, sans une goutte de sang. La voix de Tanja Ariane Baumgartner est chaude et donne de la profondeur à son registre grave, tout en sachant déchaîner ses notes les plus aiguës (« und lachte »). La basse William Meinert délivre les quelques répliques d’outre-tombe de Titurel, alors que les six Filles-fleurs, prises ensemble ou séparément, chantent correctement mais n’enchantent pas vraiment.

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Parsifal au Grand Théâtre de Genève
© Carole Parodi

Belle prestation du Chœur du Grand Théâtre de Genève, tandis que Jonathan Nott, placé à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, assure une direction musicale soignée et attentionnée, mais sans contrastes très marqués, ni fulgurances particulières. On y entend une partition qui fourmille de détails, dès l’ouverture, donnée sans clinquant excessif. Le chef sait en tout cas se mettre au service des protagonistes sur scène, en modérant le volume de la fosse pour ne pas les mettre en difficulté.

En définitive, conseil à ceux que la vue du sang dérange : s’abstenir… quoiqu’en fermant les yeux, la musique vous transporte !


Le voyage d'Irma a été pris en charge par le Grand Théâtre de Genève.

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