Requiem de Mozart à Bordeaux : l’épure tragique de Stéphane Braunschweig

- Publié le 28 janvier 2023 à 11:21
Mettre en scène la messe des morts ? Romeo Castellucci l'a déjà fait, Stéphane Braunschweig relève à son tour le défi, avec un brio que ne partage guère la direction musicale de Roberto Gonzales-Monjas.
Requiem de Mozart

Romeo Castellucci ferait-il école ?  Stéphane Braunschweig met à son tour en scène le Requiem de Mozart. Laissons de côté la question de la légitimité du concept : il a relevé le défi. Là où l’Italien faisait de l’œuvre une parabole de l’extinction et de la renaissance, là où la partition était augmentée d’autres morceaux, venus de chez Mozart ou d’ailleurs, la production bordelaise s’en tient à la messe et nous situe dans un espace entre la vie et la mort, lieu de l’angoisse et de l’espoir.

La scène est vide, meublée de caisses qui sont en réalité des cercueils, que le chœur transforme en tréteau de mystère médiéval – on pense aussi à un radeau perdu sur la mer – ou en croix. Pieds nus, les choristes portent de vieux vêtements semblables les uns aux autres, montrant l’égalité devant la mort. On dirait des voyageurs ignorant où ils vont, apeurés ou suppliants. Parmi eux, Mozart, en costume d’époque, en réalité la soprano, maître de cette cérémonie des adieux qui a des airs de Winterreise. Il disparaît après les mesures achevées du Lacrimosa, le dernier numéro achevé du Requiem, pour se fondre ensuite symboliquement dans l’anonymat de la foule – ne fut-il pas enterré dans une fosse commune ?

Force des images

Très épuré, le spectacle joue sur la sobriété, rien n’y va au-delà de la suggestion – les vêtements couverts de poussière pourraient être ceux des victimes du 11 septembre comme de la guerre en Ukraine. Ainsi se préserve l’universalité du message. Avec des images d’une grande force. Après le Lacrimosa, les voilages blancs s’ouvrent, la croix s’élève contre un mur de lamentations, à travers un miroir reflétant aussi l’infinie chaîne humaine. À la fin, quand tombe le rideau noir, il semble écraser la foule hagarde et tordue par l’angoisse, et la lumière de l’au-delà paraît bien loin. C’est une vision tragique que nous offre Stéphane Braunschweig, qui dirige admirablement les choristes, dont chaque visage devient une partie de l’humanité.

Elle ne trouve malheureusement guère d’écho dans la théâtralité superficielle du jeune Roberto Gonzales-Monjas : sa direction énergique mais pas toujours maîtrisée ne tire pas de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine des sonorités très amènes. Le chœur est vaillant, sans se montrer très à l’aise avec une écriture sans doute peu familière – chœur d’opéra plus que d’œuvre sacrée. Les solistes incarnent plutôt l’individu, le coryphée aussi. On apprécie les voix graves, que ce soit le généreux mezzo de Fleur Barron ou la basse noble de Thomas Dear, Hélène Carpentier n’offrant pas le cantabile ourlé qu’on attend du soprano, le sonore Oleksiy Palchykov n’échappant pas à une certaine raideur dans l’émission.

Un Requiem singulier : les éléments de cette production éco-responsable n’ont rien coûté, tout a été récupéré et recyclé par les ateliers de l’Opéra de Bordeaux, costumes ou bois des cercueils.

Requiem de Mozart. Bordeaux, Grand-Théâtre, le 24 janvier. Dernière représentation le 28 janvier. 

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