La soirée commence avec une minute de silence en hommage à Jürgen Flimm, intendant du Staatsoper Unter den Linden jusqu’en 2018. L'atmosphère sérieuse ne sera pas chamboulée par la mise en scène de Martin Kušej au début de l’opéra : sur un décor gris se détache la façade asymétrique d’une sorte de bunker à moitié enterré. Des soldats – en uniforme tout aussi monochrome – prennent place au premier rang et procèdent à l’exécution d’un condamné. Une seule touche de couleur vient troubler ce tableau : l’écharpe de soie rouge sang sur le corps de la victime.

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Carmen au Staatsoper Unter den Linden
© Monika Rittershaus

Après ces premiers moments glacés, les soldats masqués, le vent et la fumée font place à un monde plein de sensualité. Alors que le plateau tourne sur lui-même, on découvre l’intérieur de la fabrique de cigarettes où travaillent la belle Carmen et les ouvrières contraintes d’être en sous-vêtements tellement la température dans la fabrique est élevée. Le contraste est flagrant : d’une mise en scène rappelant la froideur d’un régime totalitaire, on passe à la volupté de ce premier plan d’ensemble où plusieurs couples se créent entre les ouvrières et les soldats, tous magnifiquement bien interprétés par les choristes du Staatsoper.

C’est la toile de fond idéale pour l’entrée de Carmen. Les pieds nus, les cheveux lâchés et dans une robe de cuir au décolleté provocant, la mezzo-soprano française Gaëlle Arquez incarne parfaitement son personnage. Sa présence dès les premières notes de l’aria « L’amour est un oiseau rebelle » nous captive et sa performance vocale ne détonne pas : sa projection dans la salle est admirable et en bon équilibre avec l’orchestre et le chœur d’enfants. La qualité de sa diction et de son jeu d’actrice ne fait que renforcer sa performance, des compliments que l’on peut tout aussi bien attribuer à Stanislas de Barbeyrac pour son interprétation de Don José.

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Gaëlle Arquez
© Julien Benhamou / Deutsche Grammophon

Les deux chanteurs ont l’avantage de la maîtrise de la langue française par rapport à leurs partenaires de scène. Cet avantage crée malheureusement un déséquilibre dans les interprétations des différents personnages. Si la performance vocale de Pretty Yende en Micaëla est ainsi plus qu’applaudie tout au long de la soirée, on perd un peu de cette magie lors des passages plus joués que chantés.

Mais ce n’est là qu’un petit bémol à cette belle représentation. Parmi les moments mémorables, on notera toutes les apparitions du baryton italien Lucio Gallo qui excelle dans le rôle du toréador charmeur et arrogant, juste comme il faut pour faire sourire le public. L’humour, qui manquait cruellement aux premiers moments de cette soirée, est donc bien au rendez-vous. Notamment lors des scènes avec les contrebandiers (le Remendado d'Andrés Moreno García et le Dancaïre de Jaka Mihelač), et les bohémiennes Mercédès (Serena Sáenz) et Frasquita (Maria Hegele). Leur quintette avec Carmen au deuxième acte est remarquable, autant vocalement que dans l’interprétation. Et ils poussent le comique jusqu’à faire semblant de prendre un selfie pour clôturer la scène.

L’orchestre de la Staatskapelle dirigé par la baguette frétillante du chef parisien Bertrand de Billy est également en forme. On notera particulièrement le beau duo de la clarinette et du basson au début du deuxième acte, la parfaite interprétation des castagnettes pour les percussionnistes, ou encore le magnifique duo flûte et harpe du troisième acte.

Après avoir été transporté dans une église aux dimensions de cathédrale pendant le troisième acte, on découvre une scène vide de tout décor pour l’acte final, où seul du sable sur le plateau tournant suffit à matérialiser l’arène de la corrida. C’est dans cette arène que périront tour à tour les personnages principaux : Escamillo, dans cette interprétation, ne sort pas vainqueur de son combat avec le taureau, et est transporté solennellement hors de scène par les autres toréadors et picadores ; Carmen, poignardée par Don José... et ce dernier, prêt à être fusillé par les soldats qui, juste avant que le rideau ne retombe, ont repris la position qui était la leur au tout début de l'ouvrage. Tout finit donc comme cela avait commencé.

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