Coproducteur du spectacle, l’Opéra de Marseille accueille la mise en scène de Carmen signée de Jean-Louis Grinda, créée au Capitole de Toulouse en 2018, et remontée d’ailleurs dans la ville rose le mois dernier. On est déjà dans l’arène au lever de rideau, devant un haut mur de briques au fond et l’inscription « Gran corrida » à côté d’une image d’un torero affrontant son taureau menaçant. Le dernier acte est joué par avance pendant l’ouverture : Carmen et Escamillo s’embrassent tendrement avant que José poignarde la gitane et s’écroule à genoux, hagard, pour revivre ensuite l’action, comme dans un flash-back.

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Carmen à l'Opéra de Marseille
© Christian Dresse

Dans la scénographie de Rudy Sabounghi, hispanique et de facture classique, deux grandes parois courbes d’aspect métallique figurent différents lieux, suivant leurs positions sur scène : comme une arène en modèle réduit quand les parois sont accolées, comme un couloir ou dédale lorsqu’elles sont en position parallèle, ou incarnant la taverne de Lillas Pastia après l'apport de tables et de chaises. Poussées à vue par des techniciens, ces façades sur roulettes se déplacent tout de même de manière un peu excessive au cours du premier acte ; une plus grande sobriété de mouvement reposera le spectateur par la suite.

Dans le rôle-titre, la voix d’Héloïse Mas opère une séduction immédiate, par un phrasé élégant allié à un timbre d’un grande richesse, en particulier son registre grave d’une splendide couleur. Mais la chanteuse paraît y mettre une grande prudence, qui l’éloigne régulièrement de l’image habituelle de la bouillonnante Carmen. On s’étonne aussi d’un fugace trou d’intonation au cours de son air « Près des remparts de Séville », l’interprète prenant une mélodie totalement inédite sur les paroles « J’ai des amants à la douzaine », mais se rétablissant heureusement très vite !

Remplaçant Amadi Lagha pour cette soirée de première, le ténor Jean-François Borras montre une forme vocale éclatante dans le rôle de Don José : instrument sonore et de qualité sur toute l’étendue, prononciation extrêmement soignée, vibrato bien présent mais sous contrôle, aigus éclatants qui alternent avec de jolies nuances allégées – bref une prestation impeccable, ne serait-ce la conclusion de son air de la fleur, un soupçon tendue.

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Carmen à l'Opéra de Marseille
© Christian Dresse

Alexandra Marcellier fait entendre une Micaëla aux accents moins angéliques que ce qu’on entend régulièrement chez d’autres consœurs sopranos, la voix étant aujourd’hui naturellement plus large que les exigences du rôle. Sa musicalité est en tout cas sans failles, et on apprécie ses aigus enflés, tout comme ses délicieuses nuances piano, par exemple pendant son grand air de l’acte III « Je dis que rien ne m'épouvante ». L’Escamillo de Jean-François Lapointe démarre sur les chapeaux de roue ses couplets du toréador, mais sans véritablement posséder les notes les plus graves du rôle, qui contrastent régulièrement avec quelques aigus surpuissants.

Les rôles secondaires sont défendus avec un bon niveau de qualité, en premier lieu le sonore et solidement timbré Moralès de Jean-Gabriel Saint-Martin. Côté féminin, on préfère la Mercédès de Marie Kalinine au timbre un peu pointu de Charlotte Despaux en Frasquita. Les chœurs marseillais semblent au sommet de leur art, bien coordonnés et produisant un chant expressif et sans vocifération, tout comme les enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône.

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Carmen à l'Opéra de Marseille
© Christian Dresse

Pour cette version aux récitatifs chantés et non pas dialogues parlés, le chef Victorien Vanoosten délivre une direction qui a tendance à adopter des tempos rapides, au risque de très légers – mais réguliers – décalages avec le plateau. C’est le cas notamment dans le quintette des contrebandiers du deuxième acte (« Nous avons en tête une affaire ») où quelques bribes de mots se perdent en route. La préparation technique de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille s’avère en tout cas accomplie : belles cordes, magnifique premier violon, bois expressifs, cuivres solides au brillant maîtrisé.

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