A la Scala de Milan, des Vespri Sciliani décevants

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« Sparate al regista ! » (Tirez sur le metteur en scène !), hurle le spectateur d’une loge à la fin de la première partie de ces Vespri Siciliani que la Scala de Milan n’a pas remises à l’affiche depuis décembre 1989, lorsque Riccardo Muti dirigeait la production de Pier Luigi Pizzi. A l’éclat de rire provoqué par ce cri du cœur outré, le public fait chorus, tant il est vrai que cette nouvelle production nous laisse sur notre faim. Hugo de Ana en a conçu lui-même mise en scène, décors et costumes. Dans un interview accordé au journaliste Biagio Scuderi (publié dans la Rivista del Teatro de février 2023), il déclare : « Je n’ai pas imaginé un boîtier vériste parce que, pour moi, l’ouvrage de Verdi n’est pas vériste. C’est pourquoi j’ai réalisé un réceptacle abstrait, un cadre de guerre, avec des objets très évidents comme des chars militaires et des fusils. Je mets en scène une situation dramatique centrée sur la violence qu’un peuple peut subir à cause des envahisseurs… Si j’ai trouvé ou non la bonne solution, le diront les spectateurs ». 

Malheureusement, il faut lui répondre négativement, car malgré de magnifiques jeux de lumière conçus par Vinicio Cheli, l’on se fatigue rapidement de ces tanks porte-missile, de cette soldatesque avinée braquant ses fusils sur ces femmes siciliennes brandissant des poignards pour protéger un tableau de la Madone, de ces cercueils pour lesquels l’on cherche une sépulture de fortune, de cette scène rappelant Monuments Men avec les œuvres d’art spoliées s’accumulant dans les antichambres du château de Guido di Monforte, de cette statue de la Vierge portée à bout de bras recelant les baïonnettes de la vengeance. 

Quant aux costumes, ils jouent sur le gris des tenues militaires s’opposant au noir porté par la populace meurtrie. Mais l’on a peine à croire que la Duchesse Elena puisse abandonner ses sombres atours pour un châle blanc et une robe à fleurs de midinette ou que son héroïque soupirant, Arrigo, tienne d’un Luigi échappé d’Il Tabarro portant casquette et salopette de débardeur avant de finir en garçon endimanché en passe de convoler en justes noces. 

Expurgée de la longue séquence de ballet Les Quatre Saisons figurant au troisième acte, la chorégraphie de Leda Lojodice ridiculise le bal donné dans les salons du gouverneur par les mouvements saccadés qu’elle inflige aux participants hirsutes qui n’en peuvent mais. Il faut donc en arriver aux vingt minutes du dernier acte pour s’extasier finalement devant un magnifique arbre enneigé surplombant le terre-plein où devrait avoir lieu la cérémonie nuptiale mais qui prendra feu avec le tragique dénouement. 

Face à tant d’incohérences visuelles, Maestro Fabio Luisi ferme les yeux pour se concentrer sur cette partition difficile d’un Verdi s’enhardissant à adopter l’esthétique du grand opéra. Pourquoi, du reste, ne pas avoir recouru à la version originale française que l’Opéra de Rome ou le Massimo de Palerme ont fait l’effort de présenter récemment et se contenter d’une traduction éculée ? Il incombe à la direction artistique du Teatro alla Scala d’y répondre… Néanmoins, dès l’Ouverture, l’Orchestre produit un coloris diaphane empreint de mystère qui tourne à la véhémence enflammée dès l’Allegro agitato. Et l’indomptable énergie produite par la baguette du chef ne faiblit jamais tout au long de ce saisissant ouvrage, sans mettre à mal la précision du discours et l’équilibre entre la fosse et le plateau. Et le magnifique Chœur préparé par Alberto Malazzi suit minutieusement la moindre de ses directives.

Sur scène, la distribution vocale est inégale, à commencer par l’Elena de Marina Rebeka qui cherche sa voix durant les trois premiers actes constituant la première partie du spectacle. Entaché d’un vibrato large, l’aigu, délibérément poussé, ne peut masquer le manque de consistance du medium et d’un grave presque inexistant. Mais, après l’entracte, son aria « Arrigo ! Ah, parli a un core » montre qu’elle a recouvré ses moyens en exhibant un timbre beaucoup plus charnu, même si la cadenza a une justesse approximative. Puis elle tente la carte de l’éclat dans le célèbre boléro « Mercé, dilette amiche » dont elle égratigne les passaggi. Face à elle, l’Arrigo de Piero Pretti se contente de faire valoir la brillance du coloris par un aigu pénétrant qui se corse d’accents héroïques, tout en laissant de côté l’atavique mélancolie de cette victime du sort. Et c’est finalement le baryton Luca Micheletti qui est le meilleur élément de ce plateau, car son Guido di Monforte a la solidité d’émission du tyran sanguinaire et les élans touchants d’un père infortuné par la portée expressive de son phrasé, alors que la basse Simon Lim campe un Procida monochrome, en dépit d’une sonorité de qualité sur l’ensemble de la tessiture. Valentina Pluzhnikova a la retenue compatissante de Ninetta, la dame de compagnie de la Duchesse, tandis qu’Andrea Pellegrini et Adriano Gramigni personnifient avec autorité le Sire de Béthune et le Comte de Vaudémont. Et les seconds plans sont assumés par Giorgio Misseri (Danieli), Brayan Avila Martinez (Tebaldo), Christian Federici (Roberto) et Andrea Tanzillo (Manfredo).  En résumé, un spectacle à demi réussi….

Paul-André Demierre

Milan, Teatro alla Scala, le 8 février 2023

Crédits photographiques :  Brescia e Amisano / Teatro alla Scala



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