Zaïde réveillée, rétablie !

Angers-Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes donnent une Zaïde inédite (et émancipée !) sur la base de la partition inachevée de Mozart.

Zaïde réveillée, rétablie !

LE RÉPERTOIRE RECÈLE bien des œuvres incomplètes ou inachevées, dont il est épineux de savoir si elles doivent être exhumées, jouées voire complétées. Comment marier l’authentique aux ajouts postérieurs, et conserver l’unité de ces pièces morcelées ? Louise Vignaud et Robin Melchior se sont attaqués à Zaïde, singspiel tronqué, commencé par Mozart en 1780 sous la forme d’un conte philosophique.

Robin Melchior ne cherche pas à écrire « à la manière de » et compose un prologue, un dénouement en forme de quatuor, et une conclusion, le tout libre de toute attache mozartienne. L’ouverture, qui dépeint un tableau de mer ténébreuse et agitée, avec des motifs de quête et des couleurs d’espoir, est superbe. On navigue subtilement entre les Tableaux d’une exposition et la mélodie française de Poulenc. La conclusion, moins subtile, emprunte à la musique américaine et l’on croit entendre les accents dansants de Bernstein.

Sur scène, exit esclaves et sultan, Louise Vignaud retient pour cadre la terre isolée et fait des insulaires des « adultes sauvages », quand Gomatz prend les traits d’un voyageur échoué sur la côte. Inzel est la mère de substitution de Soliman, Zaïde et Allazim à leur arrivée sur l’île. Elle plane sur l’œuvre comme une âme des lieux. Louise Vignaud et Alison Cosson réécrivent les parties parlées, et orientent ce Zaïde dans un climat plus contemporain, sans perdre l’essence universaliste du message premier. Il leur revient également, avec Robin Melchior, le soin d’imaginer le dénouement de cette Zaïde, et dans cette version, après un « Auf geht’s » scandé, tout est bien qui finit bien.

Basalte et pull marin

Pauline Vignaud plante la pièce dans un décor de basalte, habilement coloré d’un jeu de lumières. Si l’idée est pertinente, la structure du décor contraint le jeu des acteurs à adopter des postures forcées voire parfois néandertaliennes, et à surjouer sentiments et colères. Les costumes éclairent notre compréhension des lieux : si Gomatz échoue en pantalon noir et pull marin rouge, ses hôtes sont drapés de tuniques rapiécées, à la sauce Pocahontas. Inzel est un personnage mi-cosmique, mi-mystique à la peau bleue, à la coiffure tentaculaire et aux effets brillants.

La distribution réunit une comédienne, une chanteuse et trois chanteurs, tous tenus de montrer, en français, leurs qualités théâtrales, dans cette alternance de scènes parlées et de musique. Marief Guittier, dont les interventions un brin mystérieuses apportent un substrat philosophique supplémentaire à la l’œuvre, interprète Inzel avec stature et conviction.

Kseniia Proshina chante une Zaïde tendre, portée par l’amour et l’émancipation. La voix souple de la chanteuse russe est bien posée et s’appuie sur des médiums riches, qui servent le très attendu « Ruhe sanft, mein holdes Leben ». La délicatesse confine toutefois à la retenue, perceptible dans le « Tiger, wetze nur die Klauen » que l’on attendait plus brûlant. Kaëlig Boché montre un beau potentiel grâce à une voix claire, servie par une émission franche. Dans les airs passionnés, on regrette un manque d’épaisseur pour traduire de ce Gomatz déboussolé les tourments intérieurs, entre peur et espoir. Soliman est chanté par Mark Van Arsdale dont le panache répond aux attendus du rôle, agressif et vengeur. L’engagement scénique est complet, le ténor joue de sa voix expressive et sonore pour faire trembler ses congénères, au mépris parfois de justesse dans les aigus. Niall Anderson complète le plateau avec des moyens vocaux remarqués. La voix profonde résonne, les graves sont soutenus et la projection convaincante.

Dans la fosse, l’Orchestre de Bretagne joue juste et s’illustre tant dans la partition de Mozart que dans celle de Robin Melchior. Nicolas Simon donne une battue rigoureuse et pousse les musiciens à la précision, à la recherche de couleurs et à un jeu subtil de nuances.

En dépit de choix esthétiques discutables, cette Zaïde version 2023 réussit son double pari : rester fidèle à Mozart et inventer ce qui n’était pas. L’équipe artistique tend un pont entre les époques, en préservant la valeur universelle de ce conte philosophique. Une Zaïde qui vaut le coup !

Illustration : Zaïde, une histoire insulaire (photo Laurent Guizard)

Mozart : Zaïde (composition-orchestration : Robin Melchior). Avec Zaïde Kseniia Proshina (Zaïde), Kaëlig Boché (Gomatz), Mark Van Arsdale (Soliman), Niall Anderson (Allazim), Marief Guittier (Inzel). Mise en scène : Louise Vignaud, assistée de Sarah Kristian ; dramaturgie : Alison Cosson et Louise Vignaud ; scénographie : Irène Vignaud ; costumes : Cindy Lombardi ; lumières : Julie-Lola Lanteri. Orchestre national de Bretagne, dir. Nicolas Simon. Coproduction : Angers Nantes Opéra, Opéra de Rennes, Opéra Grand Avignon, Théâtre de Cornouaille/Scène nationale de Quimper. Nantes, Théâtre Graslin, 26 février 2023.

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Quentin Laurens

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