Après sa création en novembre dernier au festival Donizetti Opera de Bergame, La Favorite mise en scène par Valentina Carrasco, collaboratrice de La Fura dels Baus, fait étape à l'Opéra National de Bordeaux, coproducteur de la réalisation. On a connu mises en scène plus décalées, voire provocatrices dans certains cas de la part des membres du collectif catalan, celle-ci étant à vrai dire plutôt classique et réussie dans son ensemble.

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La Favorite à l'Opéra National de Bordeaux
© Éric Bouloumié

Nous voilà conviés à la version originale française en quatre actes de l'ouvrage (sur un livret d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz), créée à l’Opéra de Paris en 1840. L’histoire se déroule dans une Espagne médiévale où les amours malheureuses et funestes de Léonor de Guzman, favorite du Roi Alphonse XI de Castille, et Fernand, novice au couvent, seront l’enjeu des conflits politiques entre État et religion.

S'affranchissant du contexte médiéval, les décors signés de Carles Berga et Peter van Praet s’articulent autour d’éléments réutilisés tout au long des tableaux successifs, à savoir des lits superposés, en plusieurs étages pour certains. Disposés en pyramide, ils forment ainsi des tombes pour la première scène du monastère de Saint-Jacques-de-Compostelle, le tout éclairé par des cierges avec la statue de la Vierge au sommet. Des silhouettes de palmiers en fond de plateau suffisent à illustrer le Palais de l'Alcazar à Séville du deuxième acte, tandis qu'au troisième, un haut catafalque noir recouvre un lit où viendront s'allonger Léonor et Fernand après le mariage prononcé. Pour l'acte conclusif, des voiles noirs envelopperont les lits, Fernand s’éloignant vers l’arrière de la scène pour rejoindre la chapelle du livret.

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La Favorite à l'Opéra National de Bordeaux
© Éric Bouloumié

C'est à l'occasion des ballets obligés du deuxième acte que Valentina Carrasco nous propose son geste le plus original : l’animation de cette séquence d’une vingtaine de minutes est en effet confiée à des figurantes d’un certain âge qui font figure d’anciennes favorites du roi à la manière d'un harem. Elles se lèvent d’abord des lits, plient les draps, se coiffent, se maquillent et dansent après avoir enfilé un tutu. Elles se jettent finalement sur le roi Alphonse pendant sa visite pour l’embrasser – il en sortira difficilement, visiblement apeuré et le visage barbouillé de rouge à lèvres.

Déjà titulaire du rôle-titre à Bergame, Annalisa Stroppa compose une Léonor de Guzman de grand caractère. La chanteuse produit de louables efforts quant à la prononciation du texte, son timbre de mezzo est riche, la voix davantage centrée sur ses aigus puissants, tandis qu’à l’inverse le registre grave se révèle régulièrement discret. Le finale de l’opéra, avec la mort de son personnage, émouvra jusqu’aux larmes. Dans le rôle de Fernand, Pene Pati impressionne dès ses premiers mots par la prodigieuse qualité de son français, ainsi que par le volume dont il dispose dans le médium. Son style legato est aussi très élégant, bien conduit avec de nombreuses nuances en mezza voce, culminant sur son air particulièrement gracieux « Ange si pur » au dernier acte, même si son aigu sur les paroles « envolez-vous et pour jamais ! » montre des fragilités, l’obligeant à passer en voix de tête un peu plus tôt que prévu.

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La Favorite à l'Opéra National de Bordeaux
© Éric Bouloumié

Également présent lors des représentations bergamasques, le baryton Florian Sempey compose un roi Alphonse XI de grande autorité, somptueusement timbré, souvent glaçant dans l’accent. Sa cavatine d’entrée « Léonor ! Viens » au deuxième acte est conduite sur un long souffle et la cabalette qui suit est vive et brillante. Vincent Le Texier (Balthazar) fait entendre un instrument grave qui correspond à la sévérité du personnage. Si le vibrato est développé, la voix s’avère assez monolithique, courant un peu, par instants, après le rythme. Sébastien Droy complète la distribution dans le rôle bien moins sollicité de Don Gaspar, ainsi que l’agréable soprano Marie Lombard en Inès. Les chœurs font également bonne impression, avec un soin appréciable apporté à la diction.

Paolo Olmi est placé à la tête d’un Orchestre National Bordeaux Aquitaine techniquement très au point, comme le prouvent les différents solos très exposés des cor, trompette, hautbois, cor anglais, etc. Dès l’ouverture, le chef n’hésite pas à faire monter le volume et conférer de la majesté à certains tuttis spectaculaires. Il faut dire que l’acoustique de la salle bordelaise flatte le son émis par la fosse, et reconnaître enfin que le chef se montre constamment attentif au plateau, ralentissant par exemple habilement le tempo pour la cabalette de Léonor.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra National de Bordeaux.

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