Les générations précédentes ont certainement davantage lu et étudié Andromaque de Racine que nos classes de lycée actuelles. On peut en rappeler brièvement l’histoire, dans le contexte d’une chaîne amoureuse qui ne boucle pas : Oreste aime Hermione, éprise de Pyrrhus, celui-ci en pinçant pour Andromaque, cette dernière restant fidèle à son défunt époux Hector. Pour sauver son fils Astyanax, Andromaque consent à se marier avec Pyrrhus, mais celui-ci est tué par Oreste, assassinat commandé par une Hermione au comble de la jalousie, qui se donnera finalement la mort.

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Andromaque à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

On avait pu redécouvrir Andromaque de Grétry (créée en 1780) lors de concerts en 2009 à Paris et Bruxelles qui avaient donné lieu à un enregistrement (sous le label Glossa), en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane. L’opéra avait ensuite été proposé en juillet 2010 au Festival de Radio France Montpellier dans une mise en scène de Georges Lavaudant, avec – une titulaire mise à part – la même équipe artistique. Mais c’est aujourd’hui une nouvelle production que monte l’Opéra de Saint-Étienne, confiée à Matthieu Cruciani. Le spectacle s’ouvre sur la scénographie très épurée et symétrique de Nicolas Marie : quelques marches figurent de part et d’autre en fond de plateau, des bancs blancs sur un sol sombre, et deux bassins remplis d’une fine lame d’eau. L’eau débordera au cours du second acte, inondant légèrement la scène, suffisamment en tout cas pour accompagner la partition de quelques clapotis !

Autre évolution dans les décors : un platelage blanc suspendu aux cintres descendra à mi-hauteur au deuxième acte, pour se poser à terre au suivant, la trémie en forme de rectangle figurant la tombe d’Hector sur laquelle vient se recueillir Andromaque. La direction d'acteur propose un jeu assez théâtral, centré sur les sentiments des protagonistes qui adoptent régulièrement des poses hiératiques, tandis que les choristes restent immobiles la plupart du temps, après leurs entrées en scène. On apprécie ce traitement visuel sobre, qu’on imaginerait d’ailleurs volontiers adéquat à l’original de Racine. Seul bémol à formuler : l’introduction d’un entracte avant l’ultime partie, alors que l’enchaînement de l’œuvre complète d’une durée plutôt réduite d’une heure et demie aurait encore renforcé l’intensité de la tragédie.

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Andromaque à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

Voilée de noir et parée de riches bijoux, l’Andromaque d’Ambroisine Bré possède du drame dans la voix, un frémissement qui correspond bien à la grandeur et la tristesse du personnage. La chanteuse est sonore, davantage dans la partie aiguë de son registre, le déficit de décibels dans le grave étant d’ailleurs un trait vocal commun aux quatre protagonistes principaux. Elle fait passer une émotion sincère, comme au cours de son air de l'acte II « Laissez-moi baigner de mes larmes » où elle craint de perdre son fils. L’autre mezzo Marion Lebègue s’épanouit avec encore plus d’ampleur en Hermione ; il s'agit certainement de la voix la plus puissante du plateau, avec des accents particulièrement vindicatifs, par exemple quand elle réalise que Pyrrhus lui échappe au profit d’Andromaque (« C’en est fait ! Le parjure ! »).

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Andromaque à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

Déjà présent lors des représentations il y a quatorze ans, Sébastien Guèze fait entendre un Pyrrhus assez éloigné des canons de ce répertoire, ténor souvent tendu à l’extrême qui conviendrait mieux à un emploi spinto d’un opéra italien par exemple. Il tient cependant son rôle avec vaillance et apporte un soin certain à la diction. Le baryton Yoann Dubruque en Oreste déroule quant à lui un noble et agréable timbre, instrument d’une puissance modérée toutefois, paraissant s’amenuiser derrière l’orchestre ou les interventions des choristes. Très belle tenue également du Chœur lyrique Saint-Étienne Loire préparé par Laurent Touche, qui s’applique pour la diction du texte et fait preuve d’une solide cohésion. À noter quand même que les rideaux noirs en place sur les trois côtés du plateau ne favorisent malheureusement pas la projection vocale des chanteurs, en absorbant une partie du son transmis à l’auditeur.

En fosse, l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire joue sur instruments modernes, à l’exception notable des cuivres sur instruments d’époque. Sous la direction de Giulio Prandi, l’ensemble est techniquement bien au point et interprète cette splendide partition de filiation gluckiste avec de belles couleurs et parfois une grandeur certaine, comme dans la Marche qui clôt le premier acte.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra de Saint-Étienne.

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