Opéra
« Eugène Onéguine » au Wiener Staatsoper : Dmitri Tcherniakov reste au sommet

« Eugène Onéguine » au Wiener Staatsoper : Dmitri Tcherniakov reste au sommet

25 March 2023 | PAR Julien Coquet

La production signée Dmitri Tcherniakov et créée au Bolchoï en 2006 n’a rien perdu de son charme. Le plateau vocal solide nous conduit à passer une très bonne soirée.

Pour la réouverture du Bolchoï, en 2006, le théâtre russe avait fait appel à un jeune metteur en scène prometteur, Dmitri Tcherniakov. Si on ne présente plus aujourd’hui le personnage, qui met en scène des opéras aux quatre coins du monde, il faut ici rappeler que la création de cet Eugène Onéguine de Tchaïkovski fit grand bruit. Si l’opéra du compositeur russe multiplie les lieux, Tcherniakov restreint l’action à deux immenses salles à manger : la première de la famille de Tatiana, la seconde du Prince Grémine. Et Tcherniakov de tordre un peu le livret : ici, pas de Monsieur Triquet (dont l’air est chanté par Lenski), pas de véritable duel entre Onéguine et Lenski mais un malencontreux coup de fusil, pas de bal aux danses virevoltantes… Pour autant, force est de constater que cette production n’a pas pris une ride. Les décors impressionnent toujours, la direction d’acteurs est tirée au cordeau, les quelques changements du livret original nous invitent à réfléchir et ne nous plongent pas dans des abimes de perplexité.

Tout le drame d’Eugène Onéguine (on le rappelle ici : un homme qui tue son ami, et une histoire d’amour qui finit mal) semble provenir des réflexions quelque peu misogynes de l’époque sur les dangers de la lecture pour les femmes qui pratiqueraient cette activité. Si Tatiana a l’esprit si enflammé, c’est avant tout parce qu’elle a la tête dans les bouquins et que, victime de « bovarysme », elle confond littérature et réalité. Nicole Car campe une héroïne fragile, presque folle, totalement transformée au troisième acte par son mariage avec le Prince Grémine. La voix et claire, assurée, et le rôle parfaitement maîtrisé. Sa sœur sur scène, plus discrète, est interprétée par Maria Barakova qui livre ici une Olga pleine d’énergie, charmant Onéguine devant sa sœur et son fiancé Lenski. Etienne Dupuis propose ici un travail sérieux, très investi scéniquement bien qu’annoncé souffrant. Grâce à une projection qui force l’admiration, le chanteur parvient à nous émouvoir (scène finale) comme à nous énerver par l’arrogance de son personnage. Mention spéciale enfin au Lenski d’Iván Ayón Rivas : vu par Tcherniakov comme un être soumis et quasi transparent, Lenski se réveille finalement lorsque son ami Onéguine séduit, par jeu, sa promise, Olga. Le chanteur péruvien, s’il convainc peu au début à cause d’un manque de projection (difficile de rivaliser face à Etienne Dupuis) parvient à totalement émouvoir lors de l’air de Monsieur Triquet, puis lors de ce moment de révolte. Au dernier acte, le Prince Grémine de Dimitry Ivashchenko possède de beaux moyens vocaux, nous faisant comprendre pourquoi Tatiana a décidé de marier cet homme.

La direction musicale de Tomáš Hanus, appuyée sans être lourde, confirme la qualité de cette soirée au Wiener Staatsoper.

Eugène Onéguine de Tchaïkovski, le mercredi 22 mars 2023 au Wiener Staatsoper (Vienne). Direction musicale de Tomáš Hanus et mise en scène de Dmitri Tcherniakov.

Photos : © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

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