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Nabucco selon Jean-Christophe Mast à l’Opéra de Marseille – Le grand pardon – Compte-rendu

 
Différée pour cause de pandémie, la programmation à Marseille du Nabucco mis en scène par Jean-Christophe Mast était très attendue. L’ouvrage avait fait les belles soirées des Opéras de Saint-Etienne, Toulon et Nice avant la crise sanitaire et l’accueil plus que chaleureux qui lui a été réservé au soir de la première représentation par un public phocéen dont on connaît la passion pour le bel canto et pour Verdi, est venu récompenser une distribution de qualité et une approche scénique intelligente.
On le sait, Verdi et son librettiste Temistocle Solera se sont emparés de l’épisode biblique relatant l’esclavage des Hébreux à Babylone pour stigmatiser le sort des Milanais sous l’occupation autrichienne. Une histoire de domination, de jalousie, de folie, mais aussi d’amour, de rédemption et, finalement, de conversion et de pardon pour que triomphe la lumière sur l’obscurantisme.
 

Juan Jesús Rodríguez (Nabucco) et Csilla Boross (Abiguaïlle) © Christian Dresse
 
Intemporelle et sobre, la mise en scène de Jean-Christophe Mast nous épargne les lieux communs et les lourdeurs d’actualisations trop souvent usitées et propose une vision manichéenne plutôt réussie depuis les costumes en noir et blanc des protagonistes jusqu’aux éléments d’un décor qui suggère plus qu’il ne montre et qui, idéalement éclairé (Pascal Noël est aux lumières), donne sa densité à l’action. Jean-Christophe Mast maîtrise intelligemment les masses présentes sur le plateau, livrant de superbes tableaux et organisant des déplacements très esthétiques ainsi que de spectaculaires parties chorégraphiées (par Laurence Fanon). Un travail servi par une distribution très homogène et de qualité, tant scéniquement que vocalement.
 
Au premier rang de cette dernière, le rôle-titre dévolu à Juan Jesús Rodríguez. Annoncé légèrement souffrant, le baryton espagnol impressionne par sa présence scénique autant que par sa voix, puissante et nuancée, projetée à la perfection. Tant et si bien qu’on se demande ce qu’aurait été sa prestation s’il avait été en pleine forme … A moins que cette annonce n’ait été qu’un soutien psychologique au moment de devenir Nabucco devant une salle qui a désormais pour lui les yeux, et les oreilles, de Chimène.
A ses côtés, Csilla Boross incarne Abigaïlle ; assurément la partie vocale de l’œuvre la plus redoutable. Pas de quoi, cependant, impressionner une interprète dont la voix possède le volume suffisant pour affronter les sommets et une couleur légèrement acide qui sied totalement à la dimension obscure du rôle. La chaleur de l’accueil qui lui a été réservé est, à notre sens, totalement méritée …
 

© Christian Dresse

La Fenena de Marie Gautrot est bien en place, belle ligne de chant et présence scénique volontairement discrète, pour livrer les facettes d’un caractère dont la fragilité contraste constamment avec la puissance agressive de sa « fausse » sœur Abigaïlle. Puis il y a Laurence Janot, Anna, dont les beaux aigus se font entendre avec bonheur lorsqu’ils sont sollicités dans les ensembles. Le Coréen Simon Lim excelle en Zaccaria sur la totalité d’une tessiture annoncée basse mais qui sait alterner la densité de graves profonds, voire caverneux, et des parties plus aériennes que ne dédaignerait pas un baryton digne de ce nom. Beau succès pour lui aussi. Jean-Pierre Furlan, Ismaël, Jérémy Duffau, Abdallo et Thomas Dear, le Grand Prêtre, complétant agréablement la distribution.
 

Jérémy Duffau (Abdallo) & Laurence Janot (Anna) © Christian Dresse

Puis il y a le chœur ; et là, les Belges ont de la chance ! Le Théâtre de la Monnaie, en confiant son chœur à Emmanuel Trenque, a réalisé l’une des belles opérations du mercato lyrique. Jeudi soir, au sortir de la première de Nabucco, nombreux étaient ceux qui déploraient le départ annoncé à la fin de la saison du chef de l’ensemble vocal de l’Opéra de Marseille qu’il a conduit sur les sommets depuis quelques années. Les regrets liés au départ annoncé étaient d’autant plus vif que le chœur maison (qui avait chanté quelques minutes avant la représentation le « Va pensiero », tout un symbole, aux balcons de l’Opéra dans le cadre d’une action contre la réforme des retraites) avait été particulièrement brillant au service d’une œuvre pour laquelle Verdi n’a pas lésiné sur les ensembles vocaux, mettant en exergue ses qualités et sa musicalité à tous les pupitres et témoignant de l’excellence du travail préparatoire effectué sous la direction d’Emmanuel Trenque. On regrettera ce dernier du côté du Vieux-Port …
 

Paolo Arrivabeni © Louis Wauters
 
Autres artisans de talent pour servir ce Nabucco triomphant, Paolo Arrivabeni et les membre de l’orchestre de l’Opéra de Marseille. En ouvrant la partition, le maestro est en terre bien connue ; sa lecture de la musique de Verdi se révèle toute de nuances, de précision, d’intelligence et parfaitement servie par les qualités d’interprétation et les couleurs de la totalité des pupitres. Un grand et beau moment d’opéra !
 

Michel Egéa

Verdi : Nabucco – Marseille, Opéra, 30 mars 2023 ; prochaines représentations les 2, 4 & 7 avril 2023 opera.marseille.fr/programmation/opera/nabucco-0
 
Photo © Christian Dresse

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